Dada est dur à définir, c’est un mouvement qui nous échappe dès qu’on essaye de l’attraper. Comme un savon ; si on croit le tenir, on serre un peu plus et il nous file entre les doigts. Mais tenons-nous en aux fait : en 1916, un groupe d’artistes se réunit à Zurich au Cabaret Voltaire. Au programme, fêtes, dérision, absurde, création de masques, lecture de poèmes et peinture, au cœur de la Première Guerre mondiale. Les artistes qui participent marqueront leur génération, comme Tristan Tzara, Jean Arp ou plus tard Marcel Duchamp. Ils déclarent « Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire au progrès. Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui ».
Dada est partout
Les productions de Dada sont multiples et éclectiques et le mouvement est en vérité triple (Zurich, Berlin et Paris). Mais c’est surtout un esprit, une manière de faire et plus encore d’être. C’est une fête contre la guerre. C’est l’énergie que l’on retrouve dans le fou rire face à un monde plus fou encore. D’ailleurs le mouvement refuse toujours de se définir clairement et n’hésite pas à être contradictoire, ce qui est merveilleusement résumé dans la formule « dada est antidada ».

Aujourd’hui ce courant a officiellement disparu, les créateurs semblent avoir retrouvé leur sérieux. Pourtant on peut retrouver des traces de cet esprit dans un espace nouveau : internet. Cela n’est pas vraiment surprenant quand on sait que le mouvement Fluxus a revendiqué une filiation avec dada et a justement été le premier à s’intéresser au support vidéo et numérique (voir notamment l’œuvre de Nam June Paik). Pour mieux percevoir la parenté entre dada et certaines images qui circulent sur internet, je vous propose de revenir sur l’œuvre de John Heartfield à travers une rapide histoire du photomontage.
Le photomontage pour mêler l’absurde et le poétique
Apparu vers 1850, le photomontage s’est surtout développé autour de 1918, à la fois chez les constructivistes russes dans une optique de révolution communiste et en Allemagne avec les artistes dada. John Heartfield fait partie des maîtres de cette technique, qu’il utilise pour faire entrer l’absurde et le poétique en collision avec le réel. Il attaque régulièrement le nazisme montant, prenant Hitler pour cible en le tournant en dérision. Ainsi la célèbre phrase d’Hitler »ils sont des millions derrière moi », devient “ils sont des millions… de mark”.
Aujourd’hui, quel homme politique n’a pas été tourné au ridicule par un photomontage circulant sur la toile ? La campagne présidentielle de 2017 a même vu naître une page facebook entièrement dédiée à cette activité (voir ci-dessous). Les artistes dadas sont les pères spirituels de ces pratiques. Mais plus encore le photomontage est maintenant à la portée de tous, utilisé pour moquer un ami ou exprimer une absurdité, toujours par l’association de deux mondes qui n’auraient rien à voir en théorie. Le montage découpe et recolle, il associe deux images qui prennent ensemble un nouveau sens.
Une poésie capturée et réappropriée sur internet
Dans un domaine plus sensible, les photomontages d’Hannah Höch semblent vraiment précurseurs de notre rapport à l’image sur internet. Si l’aspect politique est tout aussi présent c’est surtout une poétique qui est développée par Höch.

Les visuels y sont agencés et fusionnés de façon à faire naître un sentiment d’absurde et de surprise qui n’est pas dénué d’un certain lyrisme. Ainsi les images diffusées sur facebook par des pages comme »virtual expériences » ou »museum of internet » partagent très largement ce type d’images absurdement poétiques.
De même que le street art est réapproprié et mis à la portée de tous, le photomontage est une forme vernaculaire de l’esprit dada. Celui-ci semble s’être diffusé sur la toile via des pratiques et des médiums désormais accessibles. Ces productions ne sont évidemment pas pour autant regardées comme des œuvres, brouillant une fois de plus les frontières entre l’art, l’amusement, la vie et tant d’autres choses. Mais n’est-ce pas là l’objet même de dada ?
Samuel Fely
[…] d’être en lien avec son corps et ainsi de renouer avec la vie. La question suivante est : sommes-nous tous des artistes […]
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