Il y a peu je parlais avec mes parents, qui ont été étudiants en Arts. Ils m’expliquaient ce qu’était la mode des années 1980 et leur propre façon de se vêtir : combinaison-pantalon, salopettes inspirées des constructivistes dont le style tenait de l’artiste-ouvrier; aux pieds des Dr Martens noires et sur le visage, beaucoup de maquillage. Cette discussion m’a amenée à penser l’intérêt du style chez les artistes et les manières dont ils le présentent. Prend-il une place importante? Est-il essentiel dans la recherche globale et théorique de leur esthétisme ? Joue t-il un rôle ensuite, dans la pratique artistique?
La relation entre l’art et le design est une question polémique et difficile à cerner. Néanmoins, un de leurs points communs est la beauté, ce qui nous intéresse ici. C’est par elle que les artistes et designers tentent d’évoquer et de développer les principes qui les animent. Certains d’entre eux transpirent tellement leurs philosophies que leur style vestimentaire en devient une vitrine. De manière consciente ou non, la présentation, la manière de se tenir face aux médias révèlent une part de leur esthétique artistique. Ainsi, l’artiste flirte avec les frontières du design.

Par exemple, en prolongation de leurs travaux, les constructivistes se coupaient les cheveux de manière géométrique, faisant écho à leur sculpture abstraite. Les femmes avaient alors un look androgyne, dont les vêtements accentuaient le caractère moderniste. L’artiste de file du mouvement, Alexandre Rodchenko, avait la tête rasée, signe très distinctif en ces temps.
Le style sur les toiles :

Quand on pense au style des artistes, on peut difficilement passer à côté de Frida Kahlo puisqu’il transparaît directement sur ses toiles : coiffée de couronnes de fleurs, vêtue de costume d’homme, elle met en scène la dichotomie du genre, montrant son esprit progressiste et sa personnalité complexe. Il y a aussi Andy Warhol et ses fameuses perruques argentées comme les murs de sa Factory, Agnès Martin avec ses habits plutôt minimalistes et confortables… Ainsi, tous ces artistes ont une identité reconnaissable qu’ils utilisaient pour se faire remarquer. Yves Klein, par exemple, portait un costume pour réaliser ses performances, montrant l’organisation méthodique et l’artiste comme un compositeur. Marina Abramovic mettait des tenues plutôt simples et neutres, qui ne détournaient pas de ses performances, ou encore ses robes majestueuses de couleurs variées pour marquer ses différentes émotions pendant The Artist is Present.

Le sens esthétique dans les vêtements de l’artiste :
Par sa formation artistique, nous pourrions supposer que le goût esthétique et le sens de la beauté de l’artiste soient utilisés dans le choix des vêtements. De ce fait, les théories créatrices ne s’arrêteraient pas à l’atelier ou au musée, pour suivre quotidiennement leurs créateurs. Aujourd’hui la représentation médiatique d’un artiste est encore plus marquée, grâce à internet et aux images omniprésentes.
Par exemple, l’artiste peut se donner un style très reconnaissable, s’offrant une grande visibilité et même une certaine “célébrité”, comme on le voit chez Grayson Perry. Avec son maquillage de poupée et ses habits extravagants, Perry se perd dans son propre travail, jouant sur l’identité et la sexualité. Mais en étant connu et reconnu pour son image et son identité, il l’est finalement moins pour ses travaux dont la qualité intéresse moins.

Il est donc intéressant de voir comment les artistes arrivent à incarner leurs esthétiques et leurs philosophies, de manières subtile ou plus évidente. Par leurs styles vestimentaires, on se rend compte que leurs concepts dépassent le cadre de la toile pour s’installer dans leur quotidien. De cette manière, ils s’inscrivent dans une démarche globalisante, interprétant leurs travaux d’une autre manière.
Agnès Tedman