Le genre de l’autoportrait, et plus largement du portrait, est un classique de l’histoire de l’art. De ce fait, il respecte une certaine normalisation des procédés : le sujet est souvent de face ou légèrement de biais, placé au centre du tableau et occupe la quasi totalité de l’espace afin que le regardeur se concentre sur lui. Ceci dit, l’Autoportrait avec symboles de vanités de David Bailly ne semble pas respecter une seule de ces caractéristiques.
L’autoportrait aux objets :

Tout d’abord, le format est inhabituel pour ce genre. En effet, peint sur une toile d’avantage utilisée pour les représentations de paysage, le portrait de l’artiste est comme perdu dans la largeur du tableau. D’ailleurs, ce que nous remarquons au premier coup d’œil est bien l’amoncellement d’objets sur la table et non pas l’artiste. Ainsi, par ce simple moyen technique, Bailly, peintre Hollandais, confère aux choses la même importance que sa propre image, d’autant que cette dernière n’occupe finalement qu’un quart de la toile.
Les artistes réalisent souvent leur autoportrait, asseyant ainsi leurs qualités techniques. Afin qu’on les reconnaisse pour leur statut, ils se représentent généralement dans leur atelier, pinceau à la main et face à une toile, comme l’a fait Cézanne.

Or, Bailly ne passe pas par ce système d’identification : une palette est bien accrochée au dessus de lui, mais elle semble encore neuve. La baquette que tient l’artiste, quant à elle, semble d’avantage placée ici pour diriger notre regard vers l’inscription en bas à gauche du tableau, que pour signifier une qualité de créateur. Ainsi, si le sujet n’était pas l’autoportrait, rien ne ne permettrait d’identifier clairement le statut de l’artiste.
Pourtant, il existe bien d’autres éléments qui se rattachent à l’art et à la culture. Les premiers sont ceux liés à la musique : une flûte est cachée derrière le petit cadre sur la table, et le portrait au-dessus de la palette représente le Bouffon jouant du luth de Frans Hals.
La sculpture est aussi représentée avec la Bacchante et le Saint Sébastien, ainsi que l’est la littérature avec les livres empilés et les rouleaux de papier. Par ces multiples détails, Bailly se présente comme un érudit et un fin connaisseur des arts.
Mise en scène des objets :
Comme vous le remarquez déjà, la composition de ce tableau est soigneusement pensée : chaque objet trouve sa place malgré une accumulation débordante. Mais rien d’étonnant quand on sait que Bailly était reconnu pour ses natures mortes, en son temps. En effet, il savait parfaitement construire un tableau et mettre en valeur ces éléments immobiles, comme il le montre ici, en se la jouant metteur en scène d’un foutoir organisé ! D’ailleurs, le rideau drapé dans le coin à gauche du tableau, rappelle celui du théâtre et la lumière est travaillée de façon à éclairer subtilement les objets de la table, puisqu’elle semble provenir de l’angle droit du tableau. Mais pourquoi avoir pris tant de précaution à mettre en valeur des objets, alors même que le sujet du tableau est l’autoportrait ? La seconde partie du titre de cette peinture nous révèle leur fonction : ce sont des vanités. En effet, si nous avons déjà vu que certains de ces objets étaient liés à l’érudition, d’autres le sont au plaisir et à la tentation humaine, puisque sur la table se trouvent des pièces d’or, un collier de perles, un couteau à manche en ivoire, une pipe et de l’alcool dans le verre démesurément grand.

Parmi ces objets, l’un est toutefois étrange : au premier plan, un verre à pied est renversé sur la table. Bien que vidé de ce contenu, les parois du verre sont tachées de rouge mais aucun liquide ne semble se répandre sur le beau tissu de soie sombre. Certains l’analysent comme une représentation du calice sacré, et donc comme une condamnation des péchés par l’église catholique (Rappelez-vous, Pascal condamnait ces mêmes vanités dans ses Pensées !).
Ainsi, il faudrait voir dans ces objets des allégories du temps qui passe, du corps qui vieillit et qui se meurt. Plusieurs échéances sont d’ailleurs explicitées : la fumée de la bougie qui vient de s’éteindre, le verre à moitié plein, les bulles de savon sur le point d’exploser, le sablier dont le décompte touche presque à sa fin, les fleurs qui viennent d’éclore puis celles coupées sur la table et, enfin, le crâne fissuré et renversé.
Les portraits :
Une question persiste pourtant : pourquoi tant de portraits dans cet autoportrait ? Revenons sur la feuille dépliée (certainement par hasard, n’est-ce pas ?) au premier plan à gauche du tableau. Dessus y-est écrit en latin « Vanitas vanitatum et omnia vanitas », phrase tirée du livre de l’Ecclésiaste, et qui signifie, « Vanité des vanités, tout est vanité ». On apprend également, en dessous de la signature de Bailly, que le tableau a été réalisé en 1651. Le problème est qu’à cet époque, l’artiste avait 67 ans et non pas la trentaine, comme nous le laissait penser la personne assise à droite du tableau. Mais alors, qui est-il ?
Il ne vous aura pas échappé que cette toile compte cinq autres portraits (sans les statuettes) : deux accrochés, un dessiné sur le mur et deux disposés sur la table. Néanmoins, un seul est tenu, fièrement, celui qui montre un homme aux cheveux grisonnants. Placé pratiquement au centre de la toile, il attire forcément notre attention ! Et souvenez-vous : le genre de cette peinture est l’autoportrait ! Ainsi, tout nous laisse penser que cette personne n’est autre que l’artiste lui-même, âgé de presque 70 ans. Quant au jeune homme, installé dans la même position, sans doute représente-il un Bailly antérieur à 1651. Dans une sorte de chronologie réaliste, l’artiste nous montre que le temps passe bel et bien !
Ainsi, le peintre nous gratifie de deux autoportraits : le premier étant rétrospectif et le second, actuel. Sa femme a également le droit aux siens, le premier étant celui sur la table, la montrant jeune, et le second, sur le mur derrière le grand verre, disparaissant déjà puisque décédée.
David Bailly a donc habilement manipulé notre regard afin que les mystères de ce tableau soient percés. En effet, tout était construit de manière à ce que notre attention soit dirigée vers son petit autoportrait : les diagonales du tableau se croisent au-dessus de la main rehaussée de jaune afin de lui apporter l’éclat nécessaire et attirer notre regard. L’arête du mur est, elle aussi parfaitement droite, bien qu’abîmée, et surlignée de blanc. C’est dire à quel point les détails étaient importants dans ce tableau !
Alicia Martins.
[…] Ce n’est pas nouveau, dans la peinture classique le premier moyen de se montrer était déjà l’autoportrait. Des artistes se sont ainsi racontés à travers des toiles, comme dans un journal de […]
J’aimeJ’aime