Les robes imaginées par Madame Grès ont l’élégance des marbres antiques, la finesse des drapés gothiques, l’élégance droite de la pierre taillée. La couturière a avant tout un

profond désir de devenir sculptrice, auquel elle renonce face à l’hostilité de sa famille. Pourtant, toute sa création témoigne de cette aspiration première. Alix Grès, de son vrai nom Germaine Krebs, dit elle-même avoir abordé le métier de la mode avec une pensée de sculptrice.
Sculpter le tissu
Et pour cause, en débutant, elle n’aime ni la coupe ni la couture, et ne maîtrise aucun de ces deux procédés. Elle démarre donc en utilisant ses connaissances, qui se centrent autour de la sculpture. Ainsi, à l’inverse de bien des couturiers, elle ne travaille pas à partir d’un croquis, mais puise son inspiration dans le matériau lui-même. Elle drape directement le tissu sur le mannequin, pour en observer le tombé, la forme, avant de couper directement dedans, comme un sculpteur taillerait son bloc de pierre.
De cette manière, la matière prend une place prépondérante, et se charge d’une dimension tactile très importante, qui a habituellement tendance, dans le domaine de la « Haute Couture », à disparaître au profit de l’effet visuel produit. Madame Grès travaille de ses mains le textile pour donner naissance à des jeux d’ombres et de lumière, façonner la profondeur des plis. Un lé continu de tissu de plusieurs mètres de largeur se voit réduit, par un méticuleux pliage, à une bande plissée de quelques centimètres, où le fil droit et le biais se mêlent pour créer le mouvement accompagnant le corps du mannequin. Le motif n’est pas imprimé sur le tissu, mais formé par lui : les assemblages de plissés révèlent en effet des formes rondes, spirales, courbes ou droites, qui semblent avoir été ciselées tant elles sont fines et précises.
Outre cette fonction ornementale, cette technique a également une fonction structurante : elle crée le volume du vêtement, et renforce le maintien du bustier. L’action de la couturière sublime le tissu plus qu’elle ne le transforme.
Faire revivre l’antique
Ce sont des robes blanches et ivoires, finement drapées, en soie ou en jersey, qui ont permis à Madame Grès de se faire connaître en 1934, d’abord sous le nom d’Alix. De ces créations émanent la grâce et la pureté de l’Antiquité ; ils incarnent véritablement la Grèce hellénistique dans les costumes qu’elle conçoit en 1935 pour une représentation de La Guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux. Elle joue de cette aura dont bénéficient ses créations. Lors de l’Exposition Internationale de New York en 1939, elle expose une robe blanche sur un bas-relief représentant un corps féminin, évoquant une sorte de Victoire grecque dotée d’une nouvelle vie, une statue animée par le mouvement souple du tissu bien réel.

Le résultat est saisissant, les plis de la jupe faisant écho aux porosité de la paroi de pierre sur laquelle repose le buste de la sculpture. Une robe similaire est photographiée par Willy Waywald en 1954, sur un mannequin au sein dénudé, évoquant une vestale.

Cet apparent parallèle entre couture et sculpture a été mis en avant lors d’une exposition conçue par le musée Galliera et présentée au Musée Bourdelle, du 25 mars au 24 juillet 2011. Les créations de la couturière trouvent en ce lieu une juste résonance avec les œuvres du sculpteur Antoine Bourdelle. Parmi les corps de pierre façonnés par ce dernier, les robes de Madame Grès révèlent toute leur charge sculpturale.
Solène Longerey