Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918), est un poète de la modernité où les références au cubisme, Picasso et les mondes de l’art contemporain, bouillonnent dans une grande marmite de vers et de calligrammes. Dans Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, Apollinaire illustre ses poèmes avec des bois de Raoul Dufy, à la croisée des arts nous avons lu Orphée, La tortue, Le cheval, La puce, La chèvre du Thibet, Ibis… Chaque bois représentent un animal du nom du poème et l’harmonie entre les médiums se crée, graphisme et écriture sont liés par les thèmes choisis.

« Mon pauvre cœur est un hibou
Qu’on cloue, qu’on décloue, qu’on recloue.
De sang, d’ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m’aiment, je les loue. »
Bois de Raoul Dufy, dans Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, Le hibou
Apollinaire alterne dans ses recueils des références à la modernité (paysages industriels, inventions mécaniques, etc.) et son sentiment de mal-aimé, malheureux en amour. Ainsi dans Zone, poème préliminaire d’Alcools, ses premiers mots sont « A la fin tu es las de ce monde ancien ». Hélas, il est fatigué de vivre dans l’antiquité grecque et romaine, et préfère la Tour Eiffel et les rues neuves. Son rapport au temps l’amène à construire ses poèmes avec une certaine discontinuité. Il découpe, bricole et joue avec l’antithèse. Dans Le Pont Mirabeau le temps passe lentement, l’amour trop vite et l’espérance est violente… L’amour est un thème privilégié, fortement conditionné par la guerre 14-18. Apollinaire est traversé par un style mélancolique, il enchaînera tout au long de sa vie les déceptions amoureuses et les illusions engendrées par les passions.

Si Guillaume Apollinaire est proche des arts graphiques et notamment de la peinture, c’est grâce à son parcours de critique d’art. Pendant de nombreuses années, il fréquente les peintres dont certains sont des amis. Pour le remercier de ses critiques, des artistes lui offrent des toiles. Son amitié avec Le Douanier Rousseau (Henri Rousseau, peintre, 1844-1910) l’inspira dans un poème épitaphe qu’il écrit à la mort du peintre (Inscription pour le tombeau du peintre Henri Rousseau douanier). Sa proximité avec l’art moderne n’est pas sans lien avec la modernité de ses poèmes. La prégnance du style parfois décousu de ses recueils fait apparaître une envie profonde de défier le temps passé. L’art moderne est, pour Apollinaire, un regard « vers » et « dans » le futur. Cela se traduit également par le cosmopolitisme de ses goûts artistiques puisqu’il louange autant les peintres français qu’étrangers. Son livre Méditations esthétiques, publié en 1913, est une analyse du cubisme qu’il définit comme un art nouveau qui tend à une rupture avec la conception platonicienne de l’imitation pour se diriger vers un acte purement créatif.

Dans Calligrammes, il allie les vers libres et classiques avec des idéogrammes (en linguistique se dit d’un signe graphique représentant le sens des mots). A cette époque, ce style avant-gardiste lui valu certaines critiques lui reprochant de ne faire que de la poésie figurative que nos aïeuls écrivirent à souhait. Pourtant le mot lui-même de calligramme fût la première fois utilisé par Apollinaire. Ces recueils sont la synthèse des arts graphiques et poétiques. Dans Poèmes à Lou, le poète nous emmène dans une histoire d’amour déchirante et érotique, teintée de passion et de récits de la guerre. Les idéogrammes forment un tableau qui représente son désir et sa passion pour Lou (Louise de Coligny-Châtillon).
Guillaume Apollinaire est un grand poète français, une fierté nationale, né en Italie, n’apprenant le français qu’à partir de l’âge de sept ans. Ce passionné de l’amour, souvent inspiré par des femmes qu’il a rencontré durant sa vie, fera de l’art sa boussole. Tantôt dans une direction tantôt dans l’autre, défendant les innovations de Picasso ou Braque, tombant amoureux de Marie Laurencin, s’engageant dans l’armée en 1914, tentant de nouvelles formes de poésies… Les thèmes lyriques d’inspiration classique sont omniprésents. Pourtant lorsque nous nous plongeons dans un poème d’Apollinaire nous sentons cette touche d’audace, cette absence de ponctuation. Nous avons lu l’œuvre d’un poète français, cosmopolite, polyglotte, audacieux, amoureux… Il a transformé l’art ancien du calligramme : entre expression poétique et symbolique picturale, il est un poète libre et moderne. Le bourdieusien dirait qu’Apollinaire est à lui seul l’expression parfaite de l’acte artistique. En effet il a transformé ce qui existait déjà en quelque chose de différent, qui est « autre ». Cet autre c’est une œuvre poétique ornée d’arts graphiques…
Olivier Muller-Benouaddah