Une crise peut en cacher une autre, un artiste peut en cacher un autre mais Walker Evans est unique. 1929, les États-Unis connaissent une crise sans précédent, en quelques années ils sombrent dans la Grande Dépression. Faillite des industries, prix agricoles en forte baisse, chômage multiplié par trois. Des chiffres encore des chiffres, on dévalue les monnaies, les capitaux américains se retirent, politiques de déflation, un effet boule de neige, France, Allemagne, Royaume-Uni, Canada etc…

L’art comme réalité :
Dans cette crise généralisée, les artistes cherchent à respirer. Avant le New Deal et le Federal Art Project, qui décide de subventionner l’art avec d’autres organisations gouvernementales sous l’égide de Roosevelt, les artistes américains naviguent entre leur tour d’ivoire et la recherche de subventions pour s’exprimer. Écrivain et passionné de littérature française Walker Evans va s’orienter vers la photographie. Son leitmotiv, l’anonymat, de l’artiste, mais également des personnes qu’il photographie. Une démarche entière, vraie et surtout proche du réel, qui cherche à montrer la pauvreté des fermiers américains suite à la Crise. L’intemporalité de ses photographies nous fait penser au caractère parfois circulaire de l’histoire moderne. Les années passent, les crises se reproduisent et comme un écho les photographies d’Evans nous rappellent la dure réalité du peuple sans populisme.

C’est dans le cadre d’une mission de la Farm Security Administration qu’il va s’employer à photographier, avec Dorothea Lange, des visages inconnus de fermiers pauvres. Le New Deal va permettre aux artistes américains, en tout cas jusqu’à la mort de Roosevelt en 1945, d’être subventionnés par l’État et développer tous les arts. L’esthétique universaliste est dépassée par le réalisme des photographies. Il n’est plus question de démontrer la valeur esthétique de l’œuvre d’Evans. Il s’agit plutôt d’en tirer les leçons de sa valeur sociale. Comme un écho à nos sociétés modernes qui bougent toujours vite, en mutation permanente, son œuvre nous apprend la modestie, l’expression de la misère cachée et le silence qui parle.

La photographie accessible :
Pour aller au-delà du regard esthétique Evans ne commente pas, n’exagère pas et immobilise les traits endurcis de fermiers marqués par la vie. Le photographe se préoccupe du sens des représentations dans un contexte socioculturel mis en lumière par un langage symbolique. Comme un écho, nul ne doute que le caractère social de son œuvre transpire le moderne. Malgré la nécessaire acquisition des codes, surtout historiques, pour comprendre son œuvre, l’accessibilité à un visuel, qui parle de lui-même, permet d’appréhender « aisément » la symbolique de ses photos. Les expériences individuelles retranscrites dans son œuvre reposent sur des images muettes. Ainsi l’originalité de son œuvre, entre autre, se trouve dans la démonstration photographique d’un aspect du style culturel d’une société à un moment précis de son histoire. Les références à un imaginaire spécifique reflètent un ensemble de significations « tribales ». En effet les photographies, formes muettes par excellence, se transforment en œuvres chargées de sens selon leur milieu de production. Sa démarche, résolument ethnographique, permet de redéfinir le photoreportage. En voulant se distancer de la pratique artistique, sans prétention proprement esthétique, son objectif est de montrer la réalité culturelle telle qu’elle se présente à nos yeux. La charge émotionnelle du photographe transperce son œuvre. Son désenchantement est celui d’un homme qui erre pour capturer les moindres traits miséreux d’une société dans laquelle, comme Lévi-Strauss, il n’a pas aimé vieillir.
Comme un écho…Walker Evans, ethnographe sans le savoir, devenu écrivain sans écriture, nous a montré la beauté cynique du monde moderne sans artifices…
Olivier Muller-Benouaddah