Du 1er au 24 décembre, Deuxième Temps vous accompagne jusqu’à Noël !
Chaque jour, ouvrez une nouvelle case de notre tout premier calendrier de l’avent et découvrez une œuvre en lien avec cette période festive.
Le saviez-vous ? Avant de tourner son regard vers la Polynésie, Paul Gauguin fut séduit par l’effervescence artistique de la Bretagne des années 1880. Entre tradition et exotisme, Deuxième Temps vous propose de découvrir la « Nuit de Noël » représentée par le célèbre artiste postimpressionniste.

« J’aime la Bretagne : j’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture ». C’est par ces termes que Paul Gauguin débarque à Pont-Aven en 1886, petit village breton fréquenté massivement par les artistes peintres.
Des mots qui font écho à ceux du médecin et homme de lettres français Victor Segalen, acquéreur, trois mois après le décès de l’artiste, de cette œuvre qu’il appelait sa « toile à vaches ».* Breton lui-même, il n’est pas exclu de penser que Victor Segalen, dont on connait l’intérêt pour l’œuvre de Gauguin, fut ému par cette toile en dépit d’un probable malaise engendré par les étranges figures religieuses représentées.
En effet, et malgré un certain respect de l’iconographie religieuse de Noël, l’œuvre combine pourtant des éléments qui semblent évoquer tout le contraire : Sur un fond de paysage breton enneigé, deux femmes portent des coiffes locales, cependant elles ont des traits rappelant davantage les fameux sujets polynésiens traditionnellement représentés par le peintre.
Par ailleurs, on remarque que les figures présentes dans le tombeau rappellent les icônes javanaises tandis que la représentation des bœufs semble avoir été inspirée par des motifs égyptiens.

Des détails dont l’exotisme permet à Paul Gauguin de transposer la scène, emblématique de Noël, dans cette dimension tropicale qu’il affectionne tant.
Toutefois, on note également un attachement significatif pour la Bretagne et ses paysages dans l’œuvre de l’artiste.
En effet, le territoire breton est, avec la côte normande, le rendez-vous des peintres dans le courant des années 1880. À Pont-Aven, Paul Gauguin fait la connaissance du jeune Emile Bernard, dont le style influencera l’œuvre du peintre. C’est à ce moment que naît le synthétisme, caractéristique du style dit de « L’Ecole de Pont-Aven », traitant par larges plans de couleurs des motifs dont les contours sont eux-mêmes accusés par des cernes.
Peinte entre 1894 et 1898, l’œuvre présentée ici reprend en partie les théories de l’école, notamment dans le cloisonnement de ses plans et la relative géométrisation de sa composition.
De ce fait, la Bretagne, pays de traditions, inspira paradoxalement cette incroyable modernité qui transparait dans la peinture de Gauguin… En ce sens, le thème même de l’œuvre et son traitement illustre ce tournant décisif dans la vie du peintre : l’abandon de l’impressionnisme pour de « nouvelles idées » et, comme bien d’autres artistes, au profit une renaissance artistique contre la décadence académique.
Chez Gauguin, cette volonté se cristallisera dans un retour au primitif puis, et surtout, dans un regard résolument tourné vers l’Ailleurs.
Marion Spataro
*CAMELIN Colette. La peinture de Gauguin dans les écrits polynésiens de Segalen. © Presses universitaires de Rennes, Colloque de Cerisy. 2005.