Abréviation de l’anglais « urban exploration » (« exploration urbaine » en français), l’URBEX apparaît à partir des années 1990 dans de nombreux pays anglo-saxons. Elle s’est ensuite développée en France au fil des explorations de quelques passionnés de catacombes et d’autres galeries souterraines parisiennes.
Activité restreinte à une minorité, l’URBEX séduit aujourd’hui de plus en plus d’adeptes à travers le monde. Nommés urbexeu(se)s, cette nouvelle génération d’aventuriers urbains explorent alors clandestinement les sites construits et abandonnés par l’homme, appareil photo à la main pour immortaliser chacunes de leurs pérégrinations insolites.
Usines désaffectées, châteaux abandonnés, églises oubliées ou encore prisons désertées, les lieux sont multiples et se situent souvent dans des zones reculées et peu touristiques. Pour autant, l’indéniable engouement pour cette pratique génère bon nombre d’interrogations sur une activité aux contours et motivations floues. Car, si l’URBEX permet de recueillir des données sur des zones publiques du paysage urbain, rappelons qu’il s’agit avant tout d’une démarche illégale et dangereuse. Aussi et outre l’ambivalence de notre positionnement face à l’essor de cette pratique, on peut se demander s’il est de bonne augure « d’intégrer » voire même de prendre en compte celle-ci dans divers programmes, notamment ceux liés la protection du patrimoine oublié et de sa mémoire.
L’URBEX : une nouvelle pratique « archéologique » au service du patrimoine délaissé ?
Pénétrer sur un site ancien, une église, une manufacture, un manoir en ruine, une ancienne carrière et éprouver l’excitation que procure l’interprétation des traces laissées au sol ou sur les parois, est une situation bien connue de la plupart des archéologues. Pour le dire autrement, qui mieux qu’un archéologue pour comprendre un(e) urbexeur(se) dont la motivation est notamment la préservation de l’état d’un lieu voire une forme de « commémoration » d’un passé en cours de décomposition ? Notons que la récente diversification des champs de recherches archéologiques et l’essor de l’archéologie dite « industrielle » sont autant de paramètres susceptibles de rapprocher l’URBEX de l’archéologie du monde contemporain.

Aussi, et à condition d’assumer une démarche résolument anthropologique, pourrait- on se laisser aller à considérer l’URBEX comme « le laboratoire expérimental d’une interdisciplinarité sur la lecture du passé contemporain »¹. Pour autant, il serait déplacé d’envisager un lien plus étroit entre l’URBEX et l’archéologie. Tandis que l’URBEX fonde sa démarche sur la clandestinité, l’archéologie s’appuie sur un cadre réglementaire régi par le Code du Patrimoine.
Dès lors, l’archéologie dite « programmée » comme l’archéologie dite « préventive »² disposent chacune d’un cadre visant à empêcher toute intervention intempestive. La prescription de fouille, émise par les services régionaux de l’archéologie, représente alors l’acte légal qui inscrit les vestiges dans un processus réglementaire, change légalement les conditions et règles de dévolution juridique des collections et fait basculer le site du code civil vers le code du patrimoine en lui reconnaissant le statut de biens culturels. Or, cet acte n’est pas anodin puisqu’il entérine la reconnaissance du caractère archéologique d’un site et, de ce fait, interdit légalement tout autre activité sur les lieux, notamment celle de l’URBEX.
Toutefois, les défenseurs de la pratique tendent à remettre en cause la démarche archéologique dans son acte le plus fondamental : la réalisation de fouilles. Contrairement à l’URBEX qui, en principe, ne doit ni déplacer, ni dégrader, ni prélever, l’acte archéologique demeure invasif dans la mesure où l’archéologue altère son objet d’étude en le fouillant. C’est pourquoi, celui-ci a le devoir de mettre en place des méthodes de collecte et d’enregistrement des données qui permettront une exploitation de ces dernières, même quand le site aura disparu. C’est le principe de la conservation par l’étude qui conditionne fortement la pratique de l’archéologie. Or, la temporalité de cette analyse est incompatible avec l’idée d’une visite furtive et, de surcroît, anonyme puisque l’archéologie doit systématiquement effectuer un enregistrement le plus fidèle et précis possible des conditions d’observation du site avant sa « perturbation ». Par ailleurs, rappelons que la pratique de l’URBEX est dangereuse aussi bien pour l’explorateur urbain que pour le site en lui-même.
En effet, si l’acte archéologique « détériore » pour mieux conserver par la suite, celui-ci est effectué par des professionnels ce qui n’est pas le cas de l’urbexeur(se), aussi chevronné(e) et expérimenté(e) soit il/elle. De ce fait, le risque de détérioration accidentelle est d’autant plus élevé que les dégâts, en l’absence d’études préalables, peuvent être irréversibles. Mais outre la dégradation involontaire des lieux, l’URBEX met également en danger les sites visités en diffusant publiquement les photos prises aux cours des différentes explorations. Car, si les règles de l’URBEX imposent aux urbexeu(se)rs de garder secrète la localisation des lieux fréquentés, celles-ci n’interdisent pas la diffusion des clichés, notamment sur les réseaux sociaux, lesquels peuvent être ensuite « reconnus » par les internautes et… localisés. Aussi, nul ne peut ignorer le risque de voir les lieux vandalisés et/ou pillés à la suite de la publication de quelques photos, et ce, dans un laps de temps indéterminé et indéterminable.
Un risque qui peut être démultiplié lorsque l’on sait qu’il existe une « géographie de l’URBEX », majoritairement anglo-saxonne, permettant de situer de hauts lieux en Europe du Nord, en Allemagne, en Belgique, aux Etats-Unis ou encore en Australie, laquelle est complétée et mise à jour via les divers rassemblements (physiques et/ou numériques) de la communauté URBEX.

L’URBEX, un terrain de jeu pour les photographes modernes
Les ruines ont toujours attiré le public. Dès le XVIIIème siècle, un peintre comme Hubert Robert peignait déjà des ruines imaginaires, comme celle de la grande galerie du Louvre en 1796, tandis que les romantiques français et britanniques partageaient ouvertement leur fascination pour les vestiges antiques jusqu’au XIXème siècle.

Dans la lignée de ces artistes, nombreux sont les photographes à immortaliser la beauté de ces ruines hors du temps tant et si bien que l’explosion de ces urbexeu(se)rs sur les réseaux sociaux a terminé de populariser l’activité et de la faire connaître au grand public. Une simple visite sur YouTube permet de voir la popularité des vidéos de visites urbaines, visionnées parfois des millions de fois. Sur Instagram, la popularité est également de plus en plus forte, le hashtag #urbex regroupant actuellement presque 7,3 millions de publications. Fortes de ce succès, des expositions mettant l’URBEX à l’honneur s’organisent au niveau national et international. Les photographes-urbexeurs sont souvent invités à exposer leurs clichés dans des endroits prestigieux, comme ce fut le cas lors des éditions 2015 et 2017 du salon « Art Capital » au Grand Palais.
Le cas de l’OCRA-Lyon
Née du désir de quelques passionnés d’espaces souterrains de préserver un patrimoine historique et industriel méconnu, l’Organisation pour la Connaissance et la Restauration d’Au-dessous-terre (OCRA) a pour but d’étudier les cavités souterraines principalement artificielles, afin d’acquérir les connaissances nécessaires à une restauration adéquate de ces lieux. Créée en 2001, l’association est un exemple parfait des frictions opposant les urbexeu(se)s passionnés d’architecture à ceux avides de gloire et/ou de sensations fortes.

Dernièrement, l’actualité a remis l’URBEX sur le devant de la scène à la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris, notamment en diffusant des vidéos montrant des explorateurs d’un nouveau genre : les free-climbers. Acrobates adeptes de l’escalade urbaine, ces amateurs de sensations fortes alimentent la polémique en contournant les normes de sécurisation des sites… au péril de leur vie. Dans le cas des souterrains de Lyon, la menace provient davantage des communautés underground, squatteurs et/ou graffeurs clandestins en quête de parois à « taguer ». Aussi, l’OCRA veille à sauvegarder les cavités de toute dégradation, en effectuant entre autres des opérations d’information auprès des adhérents, des médias, des autorités et du grand public. Notons que les actions de l’association auront permis de sensibiliser les élus locaux sur la nécessité de sauvegarder le patrimoine souterrain lyonnais et de restaurer deux sites, le Fort de Vaise et la Champignonnière de Caluire, désormais ouverts au public.
Phénomène incontournable dans le paysage culturel contemporain, l’URBEX ne peut plus être ignorée ou qualifiée de pratique « marginale ». Son succès fulgurant et l’engouement qu’elle génère, notamment auprès des jeunes générations, doivent alors être pris en considération pour éviter des dérives aux conséquences dramatiques. Or, bien que sévèrement sanctionnée par la loi³, l’URBEX ne dispose encore d’aucun dispositif permettant d’encadrer cette pratique. De ce fait, il n’est pas interdit que les flots d’encres utilisés pour couvrir le sujet servent à rédiger l’ébauche d’une future et salutaire réglementation.
Marion Spataro
¹cf. compte-rendu de la journée d’étude du 18/10/2018 – « L’Historien, les Sciences Sociales et l’Urbex » par Séverine Hurard – Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne.
²L’archéologie programmée est un mode de recherche archéologique engagé à seule fin de connaissances et de recherches scientifiques (https://www.culture.gouv.fr/). L’archéologie préventive a pour objectif d’assurer, sur terre et sous les eaux, la détection et l’étude scientifique des vestiges susceptibles d’être détruits par des travaux liés à l’aménagement du territoire (Inrap).
³Pénétrer avec ou sans effraction dans le bien d’autrui est punie par l’article 226-4 alinéa 1er du code pénal d’un an d’emprisonnement et de 15.000€ d’amende. Pire, si les lieux visités sont répertoriés sensibles (base militaire, entre autres), les faits peuvent être requalifiés en atteinte à la Sûreté de l’État.
Bonjour, tout d’abord félicitations pour votre article très bien rédigé et neutre.
Pratiquant l’urbex depuis de nombreuses années j’ai beaucoup aimé votre comparaison à l’archéologie. De mon point de vue ce métier et cette pratique reposent effectivement sur la passion de l’ancien. Cependant vous dites que l’urbex représente un potentiel danger pour des lieux qui rappelons le sont déjà en péril… À mon sens le véritable danger pour ces bâtiments se trouve dans le fait que l’urbex et victime d’un « effet de mode » et qu’il attire bon nombre de personnes peu respectueuses faisant ça sans aucune passion. Pour ma part c’est la passion de l’urbex qui m’a mené à la photo, aux réseaux sociaux et maintenant à raconter mes explorations sur mon site. Malheureusement beaucoup « d’urbexeurs » sont là pour la photographie ou tout simplement pour casser /graffer… L’urbex n’est pas un danger mais sa communauté en est un !
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Bonjour et merci pour votre retour. En effet, les lieux visités par les adeptes de l’urbex sont abandonnés pour de multiples raisons et, de ce fait, fortement menacés. Le problème se pose principalement lorsque des dégradations (volontaires ou non) surviennent à l’intérieur et ce, également pour l’urbexeur qui risque d’être victime d’un accident (certains sites étant très dangereux). Comme dans chaque « effet de mode », il y a des points positifs et des points négatifs à soulever : Certes, l’urbex contribue à mettre en lumière des sites « oubliés » (et tant mieux !) mais cette pratique, au vu du profond engouement qu’elle suscite, doit désormais être plus encadrée pour éviter les accidents malheureux et/ou les actes de vandalisme commis par sa communauté.
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