Art contemporain et Patrimoine historique : Mariage arrangé ou union consentie ?

Que leur portée soient de niveau national ou international, nombreux sont les débats qui agitent la sphère artistique et culturelle contemporaine, remettant perpétuellement en cause le rôle de la critique voire la place même des institutions dans ce domaine.

Néanmoins, il est présumable que le débat concernant l’exposition de l’art contemporain dans les monuments historiques fournira encore matière à bien des thèses et commentaires éloquents car, comme l’annonçait déjà Charles Baudelaire en son temps, « c’est le propre des œuvres vraiment artistiques d’être une source inépuisable de suggestions ».

Mais outre le fait qu’il confronte les partisans et les opposants sur la théorie de l’in situ, notamment au sens développé par Daniel Buren*, celui-ci reste particulièrement attractif dans la mesure où il questionne également la place que l’on accorde aujourd’hui au patrimoine dans notre société et, par extension, de notre perception du passé, de sa relation au présent via l’importance que l’on accorde à son « authenticité » voire à sa mise en scène.

Impossible alors de réduire ce débat à une banale querelle des Anciens et des Modernes alors que nous oscillons constamment entre nos racines et notre envie d’avenir. Dans cette configuration, confronter ou non l’art contemporain à « l’ancien » prend alors la forme d’un dilemme très shakespearien au sein duquel les arguments des deux parties sont parfaitement défendables et ce, que l’on prenne place du côté de la protection du patrimoine ou de celui de la création actuelle.

Pour autant, l’art contemporain et le patrimoine historique peuvent-ils réellement être conciliés afin de cohabiter librement dans le respect des lieux, des artistes et des publics ?

Les monuments historiques : des espaces d’expositions réellement adaptés ?

Qu’on se le dise ouvertement, la vivacité des réactions concernant la nature et la forme des mariages opérés varie fortement en fonction de « l’espace » choisi par l’artiste et/ou les commissaires d’exposition.

A Versailles, la confrontation entre l’ancien et le contemporain s’avère particulièrement délicate dans la mesure où, à l’inverse des autres institutions muséales qui intègrent fréquemment la création vivante au sein de leurs collections classiques, l’ensemble du château se visite principalement pour sa Galerie des Glaces et ses Grands Appartements, lesquels sont en eux-mêmes une œuvre constituée. Sous cet angle, l’art contemporain ne vient donc pas apporter un éclairage nouveau à l’ensemble… Au contraire, il se superpose au regard et ce, dans un décors déjà surchargé artistiquement et historiquement.

Loin de partager la même lumière, l’art contemporain et le patrimoine disparaissent alors dans les vapeurs corrosives d’un double échec : celui du monument par son incapacité à servir d’écrin à un autre hôte que lui-même et celui des œuvres exposées, lesquelles ne parviennent à sortir de l’ombre du roi que par l’importance du scandale qu’elles peuvent générer en ce lieu comme ce fut le cas en 2008 lors de l’audacieuse exposition consacrée à Jeff Koons.

Jeff Koons - Balloon Dog magenta - Exposition à Versailles
Jeff Koons – Balloon Dog Magenta (Exposition à Versailles)

Un résultat somme toute bien éloigné des ambitions formulées en 2003 par Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture de l’époque, via le programme du Grand Versailles dans lequel on pouvait lire : « Versailles, objet privilégié des commandes royales des XVIIe et XVIIIe siècles, doit renouer avec la création artistique de son temps ».

En dehors de Versailles, les initiatives proviennent d’abord d’amateurs locaux, lesquels sont souvent inscrits dans des logiques de sauvegarde et de développement de leur patrimoine local.

En 1991, le maire d’un village près de Pontivy, dans le Morbihan, parvient à convaincre les élus de son territoire afin d’accueillir des artistes dans les chapelles qu’ils sont chargés d’entretenir. Vingt-sept ans plus tard, « L’Art dans les chapelles » attire près de 100 000 visiteurs qui profitent de l’événement pour découvrir les trésors cachés de la région.

L'Art dans les chapelles - 20e édition - Rainer Gross, Chapelle St Nicolas
L’Art dans les chapelles 20e édition – Rainer Gross , Chapelle St Nicolas
L'Art dans les chapelles 2014 - Installation d'Elodie Boutry
L’Art dans les chapelles 2014 – Installation d’Elodie Boutry

Mais si, à l’inverse de Versailles, les intervenants ne sont généralement pas des célébrités, ces derniers sont toutefois priés de respecter la charte qui lie la manifestation à l’évêché, à savoir : l’absence de porno, de violence ou de blasphème explicite. Une contrainte qui, loin d’être interprétée comme une restriction, permet aux artistes de ne plus « imposer » leurs travaux mais d’engager un « dialogue » avec le lieu et son histoire, le tout pour une cohabitation nettement plus harmonieuse.

L’Art contemporain, un outil marketing pour le Patrimoine ?

Si l’analyse de l’art et des biens culturels est longtemps restée en dehors des limites de l’analyse économique développée dans un sens plus général, celle-ci prend désormais une place non négligeable dans le débat concernant l’exposition de l’art contemporain au sein même des monuments historiques.

En effet, nul ne saurait ignorer l’ampleur des opérations de valorisation (notamment financière) de collections privées dans ces manifestations artistiques aux allures de mariages improbables.

Bien que l’une et l’autre des parties s’en défendent, il demeure incontestable que les œuvres exposées à Versailles, par exemple, y prennent de la valeur et profitent à leurs auteurs en bénéficiant de la renommée internationale du site.  En ce sens, on peut logiquement se demander si le patrimoine n’est pas davantage considéré comme un « show-room » pour les artistes en quête de reconnaissance nationale ou internationale dans une sorte d’opération gagnant-gagnant ?

Car en ces temps de rigueur budgétaire, il faut bien trouver des ressources, lesquelles passent notamment par la fréquentation même des lieux patrimoniaux que les professionnels de la culture tentent alors de « dépoussiérer » afin d’y attirer un public plus nombreux et surtout plus jeune.

Un pari certes audacieux mais néanmoins payant puisque les polémiques, comme celles de 2008 ou de 2012 autour des cochons de Wim Delvoye placés dans les salons Napoléon III, mettent un peu de piment dans la vie du musée et font (re)venir au Louvre, comme à Versailles, les habitués de la Fiac et les jeunes branchés qui raffolent des sorties « arty ».

Wim Delvoye - Cochons - Exposition au Louvre
Wim Delvoye – Cochons

Des « expos-événements » qui en plus d’interroger la relation art/médias, s’avèrent être un formidable moyen de communication et un puissant outil marketing au sein d’une compétition de « l’événementialité » dont seuls les dirigeants les plus habiles à communiquer semblent tirer leur épingle du jeu.

Aussi et depuis 2012, le Centre des monuments nationaux (CMN) multiplie les événements autour de l’art contemporain et de la photographie tandis que le domaine de Chambord accueille depuis 2011 des artistes en résidence tels que Djamel Tatah ou Guillaume Bruère qui ont installé leurs œuvres au cœur du symbole même de la Renaissance, sans pour autant entraver la visite patrimoniale.

 

Si le débat reste toujours en suspens, il apparait clairement que celui-ci s’enracine dans plusieurs problématiques dont les enjeux diffèrent d’un acteur à un autre.

Néanmoins, à l’heure où l’offre culturelle explose, les institutions culturelles ont désormais pour obligation d’assumer pleinement les conséquences du temps raccourci et accéléré d’une économie de la culture au sein de laquelle la visite au musée devient de plus en plus une forme de loisir voire de divertissement.

Or l’art, même contemporain, ne pourra pas toujours présenter l’attrait de la nouveauté tant recherché par les publics fréquentant les lieux patrimoniaux. De nouvelles solutions devront donc être envisagées afin d’éviter l’engagement des institutions culturelles dans une compétition stérile, propre à alimenter la controverse autour de l’art contemporain et du patrimoine classé en impliquant à tort les artistes et leurs travaux dans la complexité des enjeux de la concurrence.

 

Marion Spataro

*La notion de travail in situ telle que Daniel Buren l’emploie pour définir sa démarche signifie que l’œuvre ne saurait être envisagée sans l’espace dans lequel, pour lequel et en fonction duquel elle s’inscrit. Ce postulat est établi tandis que Daniel Buren mène des expériences picturales ; il constate rapidement que le caractère déterminant du contexte, souvent ignoré, agit considérablement sur la perception de l’œuvre d’art. Il va alors souligner et tenter d’inverser cette relation, afin que ce soit l’œuvre qui révèle le lieu, qui dévoile ses spécificités, ses contraintes, qui le transforme.

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