L’entrée des femmes à l’Ecole des Beaux-Arts

Une histoire différée

Le constat est simple : depuis toujours les femmes ont participé à la vie artistique (au Moyen-Age avec le travail d’enluminure et de broderie des tapisseries, ou encore peinture à la renaissance…), or nous sommes bien incapables de citer 5 noms d’artistes femmes avant le XXème siècle. Ceci s’explique essentiellement par le fait que la société n’a pas souhaité leur donner une place. Leur éducation était maintenue sous l’égide d’un maître, d’un père ou d’un frère pour devenir la parfaite épouse.

Sous le joug d’un système patriarcal, la femme qui voulait s’adonner aux Arts n’avait guère de choix ; les institutions religieuses apparaissaient comme des lieux privilégiés pour son éducation au Moyen Age. Il fallut attendre le XIXème siècle pour voir émerger des structures capables de leur offrir une véritable formation artistique. Sans accès à la prestigieuse Ecole des Beaux-Arts de Paris, pourtant fondée en 1817, les premières écoles professionnelles destinées à la l’apprentissage des jeunes filles aux arts, sont apparues. On peut citer la célèbre École d’ Elisa Lemonnier, considérée, en France, comme la fondatrice de l’enseignement pour les femmes. Les Maisons d’éducation créées par Napoléon en 1805 ont aussi pallié la nécessité de prodiguer aux femmes un enseignement artistique. Cela était cependant insuffisant.

Des privilèges à tous les étages

Sans formation digne de ce nom, l’accès des femmes à l’école des Beaux-Arts, symbole par excellence de la formation artistique, devint vite un enjeu majeur vers la fin du XIXème siècle et fut le fruit d’une lutte sans relâche face aux virulents opposants et aux mentalités du siècle. Mais ce combat a-t-il permis d’instaurer une égalité de traitement homme/femme dans la pratique artistique?

Les arguments contre l’entrée des femmes aux Beaux-arts étaient principalement d’ordre politique, moral (avec le problème de la nudité lors des classes de dessin d’après des modèles vivants) et culturel. La résistance se remarquait particulièrement chez les socialistes et les anarchistes, puisque selon Proudhon « La femme est faible, d’une nature imparfaite ». L’idée sous-tendue était que seuls les hommes possèdent véritablement ce génie créateur. Les politiques de l’époque pensaient donc même que l’institution d’ateliers séparés par sexe ne résoudrait pas le problème. Il serait encore plus accentué par des classes mixtes. L’homme a besoin de concentration pour pouvoir opérer ce travail : la compagnie de jeunes filles le distrairait.

Dès 1870, la convergence des idées républicaines avec l’hostilité du code napoléonien, l’idée que l’art pouvait servir l’éducation de l’esprit et l’émergence des demandes féministes, imposa l’idée d’ouvrir les institutions aux femmes. Des artistes comme Hélène Bertaux vont militer pour que toutes puissent accéder à une éducation artistique. Suite au refus du directeur de l’école des Beaux-arts d’instituer une école spéciale pour les filles, elle décide d’ouvrir un atelier et fonde en 1881 l’union des femmes peintres et sculpteurs Véritable groupe de pression sur l’opinion publique, elle fut reconnue quelques années plus tard comme société d’utilité publique par l’Etat.

Une séance de modèle vivant dans l’Académie Julian
Une séance de modèle vivant dans l’Académie Julian

Les écoles privées comme l’académie Colarossi ou l’académie Julian, entre autres ateliers libres, constituent une alternative aux Beaux-arts de Paris. Ces écoles mixtes étaient des exceptions car on pouvait y suivre des séances de nus. Jugées trop conservatrices et élitistes car réservées à la bourgeoisie avec des droits d’inscription excessifs, elles n’étaient pas satisfaisantes face aux demandes croissantes. En parallèle, un climat de démocratisation de l’éducation des femmes souffle sur la France : la loi Camille Sée, sur l’enseignement secondaire des jeunes filles, avait été votée et la Sorbonne leur avait ouvert ses portes en 1880. Commence alors le combat pour l’accès des femmes à l’école des Beaux-Arts.

Des quotas féminins

Le 12 juillet 1889, sur proposition d’Hélène Bertaux, le Congrès des œuvres et institutions féminines adopte une motion demandant l’institution à l’Ecole des Beaux-arts d’une classe spéciale, séparée des hommes. Le 8 décembre 1889, l’assemblée générale de l’Union des femmes peintres signe cette motion. En 1890, l’Ecole des Beaux-Arts répond qu’il est financièrement impossible d’accéder à cette requête.

Hélène Bertaux revint à la charge en demandant que soit institué un quota de femmes dans les admissions à l’école, et que les filles admises soient placées dans un atelier séparé des autres sous la direction d’un professeur attaché à l’Ecole. En 1896, on trouve enfin un budget pour financer cela. Désormais, elles peuvent avoir accès à la bibliothèque, fréquenter quelques cours magistraux (perspective, histoire de l’art ; les cours d’anatomie se faisaient à d’autres horaires que ceux des garçons). L’année suivante, elles furent autorisées à travailler dans les galeries, à se présenter aux examens d’entrée et suivre les cours de peinture et de sculpture organisés pour elles. Cette présence féminine va déclencher la colère des garçons étudiants qui protestent dans la rue, inquiets de la concurrence féminine tant pour les prix et médailles, que pour la baisse de prestige de l’École. Face à ces protestations elle fut fermée pendant un mois mais ré-ouverte en acceptant les femmes.

Cependant, les Dispositions relatives aux ateliers de l’Ecole des Beaux-arts ne font toujours pas allusion à l’organisation particulière d’un enseignement pour les femmes. Il faut attendre 1898 pour voir le règlement intérieur de l’Ecole en parler et reconnaître la présence féminine : « Les jeunes gens (hommes ou femmes) qui veulent profiter de l’enseignement de l’école, doivent préalablement se faire inscrire au secrétariat, justifier de leur âge et de leur qualité… ». Là, le Conseil d’État décida que les femmes avaient le droit de toucher, outre les médailles, la dotation correspondante, répondant ainsi aux objections du Conseil de l’école, suivant lequel les fondateurs avaient pensé aux élèves dans leur testament en ayant à l’esprit l’encouragement des jeunes gens seuls.

Atelier-Humbert2En 1900, les femmes purent entrer dans un atelier qui leur était spécialement destiné. Cet atelier demeura unique jusqu’à la fin des années vingt. Mais, il allait donc falloir résoudre le problème des « nus »…

Jusqu’à la seconde moitié du XIXème, la ségrégation et la hiérarchisation des deux genres et sexes atteint un degré sans doute jamais égalé dans l’histoire : le triomphe de la bourgeoisie est aussi celui de la pudeur, de la dissimulation aux femmes de leur corps et de celui des hommes. Mais en même temps, sous la pression de l’activisme de certaines, ces clivages commencent à s’affaiblir et des jeunes filles pourront bientôt entrer dans des salles où se trouvent exposés des hommes nus – ou presque. En 1901, le Conseil Supérieur de l’École, après plusieurs séances houleuses, finit par décider « que le modèle serait nu, mais que les femmes le dessineraient non pas en même temps que les hommes, mais après, pour satisfaire aux exigences de la bienséance ».

En 1903, les femmes furent autorisées à se présenter au prix de Rome, récompense artistique décernée aux artistes des Beaux-Arts permettant de séjourner à la villa Médicis. En 1911, la sculptrice Lucienne Antoinette Heuvelmans fut la première femme à l’obtenir. Dès 1896, les femmes ont finalement pu rentrer à l’Ecole des Beaux-arts soit plus de 70 ans après sa création. Ce fut une fausse victoire car, ironie de l’histoire, les courants véritablement novateurs de l’art n’allaient plus s’exprimer, à partir du début du XXème siècle, dans cette École mais dans d’autres cercles sous influence de groupes d’artistes étrangers tels que l’école de Paris. De plus, les nouveaux mouvements (fauves, cubistes, surréalistes) n’étaient pas du tout axés sur la promotion féminine, au contraire.

Groupe des concurrents pour le Prix de Rome
Groupe des concurrents pour le Prix de Rome – au 2nd plan Lucienne Heuvelmans

Cependant, cet accès à la formation artistique a permis à ces jeunes femmes d’atteindre un statut professionnel et une visibilité sociale alors même que les sphères artistiques du « marché de l’art » (galerie, marchands…) qui jusqu’alors leur étaient fermées. Ce combat pour l’éducation artistique  n’est que le reflet de la place faite à la femme au sein de la société. Combat, qu’il faut mettre en perspective avec l’importance accordée au système éducatif des femmes en France et, plus largement, dans le monde entier.

Mathilde Saunier

 

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