L’été rime avec plage, farniente, soleil et baignade. Mais pour certains artistes le sable est un terrain de jeu illimité où créativité et impermanence se côtoient. Pour d’autres, c’est un matériau qui exige précision et patience pour des œuvres impossibles à retoucher ou modifier lors du processus de création.
Un art pas tout à fait éphémère
Les artistes ont développé plusieurs techniques pour mettre en valeur cette matière si particulière. Ilana Yahav, artiste israélienne, s’est spécialisée dans l’animation du sable. Ses œuvres réalisées au doigt sur une plaque de verre éclairée sont très poétiques. Chaque performance est unique, chargée d’émotions et presque enchanteresse comme en témoignent les vidéos qui circulent sur la toile. Selon Ilana Yahav la magie réside dans la mise en mouvement d’une partie de son corps : “ J’ai toujours été captivée par la capacité des gestes des mains à exprimer des émotions comme la colère, la compassion et l’amour… Comme dans une danse, de tels mouvements sont créateurs d’émotions, lesquelles jouent un rôle prépondérant dans la création”.
Andres Amador, quant à lui, exerce son art en pleine nature avec pour outil un râteau. Cet artiste paysagiste trace, des heures durant, des motifs inspirés du végétal et recherche une harmonie avec l’environnement.
Cette pratique limitée par la contrainte du temps et des éléments naturels est propice à la réflexion sur la place de l’artiste dans le processus de création mais aussi sur l’impermanence de la vie et l’impact des œuvres sur le spectateur. Un terrain de jeu illimité car après avoir exploré baies et criques californiennes l’artiste s’exerce également sur la terre ferme.

Jamie Harkins a décidé de passer de la feuille au sable : s’inspirant des dessins à la craie, il arpente les plages de Nouvelle-Zélande pour nous offrir de somptueux dessins en 3D qui prennent tout leur sens vus de loin. L’artiste pousse même la performance en invitant le public à prendre la pose et à habiter ses œuvres. Véritable illusionniste des sables, il explore la frontière du rêve et de la réalité.
Vous l’aurez compris, le travail du sable a le vent en poupe ces dernières années. Même Daim, le célèbre graffeur, y a succombé. En juillet 2012, l’artiste réalise son blaze à la pelle en 3D sur l’île de Förh (Mer du Nord, Allemagne). 6 heures de travail réduites à néant en quelques minutes mais de très beaux clichés 100% nature témoignent du talent pluridisciplinaire de cet expert du street art. La création d’oeuvre sur les plages ou en animation, est de prime abord vouée à disparaître bien que les nouvelles technologies (photo, vidéo, réseaux sociaux) en gardent une trace indélébile.
Le sable, un matériau de choix
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le sable est utilisé par certains artistes pour créer des tableaux figés et des décorations qui traversent les siècles. Comment un matériau aussi friable peut-il rendre pérenne une oeuvre ?
En me penchant sur le travail de Maryse Muller Ziarczyk, j’ai obtenu quelques réponses. Cette artiste est tombée sous le charme des couleurs du sable en Polynésie. Depuis plus de 15 ans, son travail est axé sur le jeu des couleurs et la maîtrise des techniques de pigmentations du sable.
Une fois cette tâche minutieuse effectuée, il ne reste plus qu’à saupoudrer le tableau. Aussi simple que cela puisse apparaître, c’est un art exigeant car l’artiste ne peut pas retoucher son oeuvre. Dès lors que les grains touchent le support enduit d’adhésif, le dessin est figé. Maryse Muller ne s’en lasse pas. Lors d’une exposition à Le-Temple-sur-Lot, en 2014, elle déclarait :
“C’est vraiment magique ! Je colore le sable avec des pigments dont je garde le secret. Le sable coloré permet de réaliser plusieurs styles de tableaux mais sa technique n’a rien à voir avec celle de la peinture. La préparation et la réalisation d’un tableau demandent beaucoup de temps et de minutie. Aucune retouche ou modification n’est possible dès lors que le sable est en place. […]”
L’allemand Tim Bengel travaille le sable pour livrer des “peintures” en noir et blanc. Ses oeuvres sont d’une précision quasiment millimétrique. Il lui arrive de créer grain par grain, comme l’atteste certaines images des vidéos qui circulent sur le net. Pour réaliser ses tableaux, il commence par tracer son dessin sur une surface adhésive puis il applique le sable noir et parfois de la poudre d’or sur les zones à mettre en relief. L’oeuvre se révèle lorsqu’il saupoudre du sable blanc sur l’ensemble. Un travail qui semble minimaliste mais qui revêt un caractère unique et un réalisme stupéfiant.
Pour finir nous oublions souvent que la verrerie et la faïencerie utilisent le sable comme matériau de base. Pendant des millénaires, les objets du quotidien ont été décorés et embellis grâce au savoir-faire des émailleurs. Dans l’Hexagone, cet art est associé à la ville de Limoges et à celle de Longwy. Les initiés penseront également au sable de Fontainebleau, le meilleur gisement de silice au monde car il en renferme entre 95 et 99%. Les artisans verriers de Murano le recherchaient pour sa grande pureté et il a été utilisé dans la fabrication de la verrière de la pyramide du Louvre.
Que l’oeuvre soit temporaire ou non, l’utilisation du sable dans l’art nécessite une grande dextérité. C’est pour les artistes un moyen d’explorer la nature et sa richesse mais aussi d’évoquer l’impermanence des choses, l’état méditatif, le temps qui passe, la poésie de la vie et l’illusion optique. En héraldique, le sable représente le noir, à savoir, le commencement et la fin, la lumière après les ténèbres, la résurrection…
Céline Redon