La représentation des fluctuations de l’âme, des sentiments et des passions constitue l’une des quêtes majeures de l’art. Expression privilégiée de l’humeur et de l’esprit, il est donc logique que le sourire occupe une place particulière dans son histoire comme dans ses œuvres.
Ce mouvement singulier qui anime le visage pose cependant un certain nombre de problèmes dans la mesure où celui-ci est, tout d’abord, difficile à caractériser.
Pour autant, les artistes n’ont pas renoncé à cette quête car le sourire est sans doute le signe qui résume et illustre le mieux toute la complexité de la palette des émotions humaines en constituant l’expression immédiate et nuancée du vécu.
Le sourire bienséant
En peinture, la représentation des sentiments, des humeurs ou encore des « états d’âme » s’affirme à partir de la seconde moitié du Quattrocento en Italie. Le sourire apparaît donc dans les œuvres de la Renaissance mais néanmoins de manière très contrôlée. En effet, les règles de la bienséance de l’époque exigeaient alors une maîtrise parfaite du corps, notamment de la bouche encore considérée comme le siège des plaisirs gustatifs et/ou charnels.

« L’homme qui rit » peint en 1470 par Antonello da Messina reste l’une des premières œuvres « souriante » de la peinture occidentale. Toutefois, le sourire du sujet s’apparente davantage à une grimace cynique, amenant les historiens de l’art à considérer la célèbre Joconde comme étant le premier portrait souriant. Peint vers 1503 – 1519 par Léonard de Vinci, le sourire de la Joconde fascine au point que celui-ci soit considéré comme « l’attribut » de sa célébrité.
Mais en dépit de son côté énigmatique, le sourire de Mona Lisa atteste surtout de la vigilance de l’artiste, lequel aura veillé à suspendre ce dernier par un habile jeu d’ombres afin de ne pas faire de son sujet une prostituée aux yeux de ses contemporains. Précisons ici que le sourire « denté », c’est-à-dire bouche ouverte, est réservé aux filles de joies, ivrognes et autres personnes s’adonnant à la débauche et ce, jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIème siècle.
Sourire à pleines dents
Il faudra attendre le siècle des Lumières pour que l’importance donnée à l’expression franche des sentiments encourage les artistes à réaliser des portraits souriants. Une petite révolution qui reste étroitement liée à l’émergence d’une science se rapprochant de la dentisterie moderne.
Les progrès de la dentisterie parisienne aidant, entrouvrir les lèvres devint acceptable voire souhaitable dans la mesure où, avec l’essor des grands romans sensibles* de l’époque (la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, par exemple), le sourire s’impose comme un modèle pour les élites souhaitant afficher leur sensibilité et leurs richesses.

Ainsi, dans son autoportrait de 1787 dit La Tendresse Maternelle, Elisabeth Vigée Le Brun se singularise bel et bien comme une personne sensible, laquelle n’hésite pas à transgresser allègrement les conventions du passé.
Certains critiques reprocheront cependant à l’artiste d’user de ses propres attraits physiques pour contribuer au succès du tableau où elle semble adresser un sourire directement au spectateur.
En exposant ainsi sa dentition, Elisabeth Vigée Le Brun se verra alors accusée de séduction, attitude apparaissant comme particulièrement déplacée dans la représentation classique de la maternité.
Après la Révolution, le sourire ne revient dans la peinture française qu’avec les artistes de l’impressionnisme.
Néanmoins, il faudra encore attendre le début du XXème siècle pour qu’une femme de la bourgeoisie respectable apparaisse avec un sourire franc et décomplexé comme dans la Jeune femme à la balustrade de Kees Van Dongen. Peinte en 1910-1911, la stylisation de cette œuvre opère alors une sorte de promotion sociale du modèle féminin en le libérant de toute vulgarité. Au niveau de la couleur, l’œuvre s’inscrit dans les tons carmin, orangé, vert et violet utilisés par les fauves tandis que l’élégance des contours et du geste même tentent à rapprocher subtilement ce tableau de la tendance maniériste des années 1920.
Une représentation cohérente du sourire si l’on tient compte de la volonté de l’artiste « d’exagérer l’essentiel » en plaçant au cœur de ses portraits fauves la notion d’artificialité.

Sourire de star
L’invention et surtout le développement de la photographie marque un bouleversement, les portraits peints disparaissant peu à peu au profit des clichés photographiques.
Néanmoins, si l’instantanéité des photographies contribue à la « démocratisation » assumée du sourire, c’est bel et bien Hollywood et ses icônes cinématographiques qui le populariseront.
Réalisé en 1962 par Andy Warhol, le Marilyn Diptych permettra d’afficher le sourire éclatant de Marilyn Monroe, véritable outil de séduction et symbole d’une jeunesse glorieuse.

Dès lors, le sourire dit « hollywoodien » s’imposera à l’international et dans la sphère artistique comme l’expression normative de la vie sociale idéale.
Au XXIème siècle, les images semblent alors pouvoir tout dire des personnes et ce, en toutes occasions… Aujourd’hui, sourire est devenu un réflexe culturel et social de notre temps : il traduit généralement ce que nous attendons d’une image de portrait. Mais à l’heure où l’essor des nouvelles technologies permet désormais d’échanger par l’intermédiaire « d’emojis» (émoticônes), peut-on encore réellement parler de portrait lorsque la figure humaine s’efface derrière le sourire stéréotypé du célèbre smiley jaune ? Un débat dont la fausse simplicité peut effectivement prêter à sourire… ou pas.
Marion Spataro
*Dans ces œuvres littéraires, le lecteur moderne est souvent frappé par les cris et les sanglots de ces héroïnes luttant pour leur vertu, lesquelles triomphent, glorieusement, un sublime sourire aux lèvres.
Très bon article, bien illustré; j’aimerais plus de détails sur l’auteur de cette initiative. Je me propose d’y contribuer.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ces compliments ! L’auteure de ce texte s’intéresse à l’art contemporain et travaille dans l’événementiel et l’exposition. Si elle a écrit sur ce sujet c’est par curiosité. Toutefois, si vous souhaitez « contribuer à » quelque chose, faite le nous savoir 🙂
J’aimeJ’aime