La muse aux multiples facettes

Derrière chaque grand homme se cache une femme : ce célèbre adage n’a jamais été aussi vrai que dans la sphère artistique, où les personnages féminins que l’on appelle muses viennent nourrir l’imaginaire des  artistes. Au sens premier, la Muse désigne chacune des neufs déesses, qui dans la mythologie grecque, présidaient aux arts libéraux. Synonymes de sagesse et de bonheur, elles symbolisaient l’union harmonieuse des arts. L’art pictural était exclu de toute allégorie mythique ; ce n’est qu’au fil des siècles que la muse a adopté une signification plus littéraire pour devenir une source d’inspiration. Ces femmes, objets de fantasmes entretenus par l’artiste, vont être tour à tour modèles, conseillères, inspiratrices et amantes.

Entre objet de fantasme et affirmation artistique

Matisse dessine Lydia Délectorskaya, Le Régina, Nice, 1952, photographie, Centre Pompidou, Paris
Matisse dessinant Lydia Délectorskaya, Nice, 1952, Centre Pompidou, Paris

Dès la Renaissance, la femme était érigée en modèle essentiellement pour ses traits physiques. La beauté de Simonetta Vespucci, femme d’Amérigo Vespucci et considérée comme la première  muse, inspira Boticelli pour sa célèbre Vénus. Par la suite, les impressionnistes ont ouvert la voie des égéries en partageant leurs expériences, laissant le spectateur témoin de leur intimité et de l’attirance charnelle et spirituelle qu’ils ressentent pour leurs modèles. Les plus grands noms, de Manet à Warhol en passant par Matisse, Picasso ou encore Dali, ont tous eu une ou plusieurs femmes pour les accompagner dans leur processus créatif.  

Galatea des sphères, (inspirée de Gala), Salvador Dali, 1952
Galatea des sphères, (inspirée de Gala), Salvador Dali, 1952, peinture à l’huile, Musée Dali, Figueras

Le schéma de la rencontre est simple et se répète invariablement : un artiste d’un côté, en quête d’inspiration tant artistique qu’intellectuelle, de l’autre, une muse, une jeune femme, qui lui apparaît jolie et sûre d’elle, qui l’envoute. Le charme opère, il la prend sous son aile et elle devient le centre de toute son oeuvre. La beauté du sujet est inspirante. En effet, le choix de la muse est aussi esthétique, on ne parle pas ici d’un corps parfait mais qui provoque et évoque des émotions. Son  esprit sensuel devient un élément de désir pour le peintre. Avec un mode de vie libéré, bohème, entouré d’un parfum de mystère, l’égérie exerce une véritable fascination chez celui qui la regarde. Elle stimule l’intellect de l’artiste pour mieux libérer ses idées créatrices.

Dora Maar, célèbre muse de Picasso et son portrait, 1937
Dora Maar, célèbre muse de Picasso et son portrait, 1937, peinture à l’huile, Musée National Picasso, Paris.

De l’union artistique naît bien souvent une passion amoureuse, adultérine la plupart du temps. Camille Claudel vécut une relation déséquilibrée avec un Rodin vampirisant et marié ; leur histoire ne connaîtra qu’une fin tragique. L’attrait du peintre pour sa muse est éphémère mais extrêmement prégnant dans sa vie et sa production. Picasso a multiplié ses sujets féminins, on en compte pas moins de neuf. Notez que l’inverse est beaucoup plus rare et parmi les exceptions : Jelena Djakonowa dite Gala, jeune Russe, a été la femme et la muse de Paul Eluard, puis de Max Ernst, qui participera malgré lui à un triangle amoureux qui durera plusieurs années, pour enfin épouser Salvador Dali.

Le faire-valoir des artistes masculins ?

Au-delà de la relation artistique établie, le rôle de la muse questionne aussi la place de la femme en histoire de l’art : vaste sujet, mais on s’interroge tout de même pour savoir si elles ne sont pas reléguées à ce statut en tant que faire valoir du génie masculin ou si elles sont elles-mêmes femmes artistes « empêchées » faute d’accès à une éducation artistique, placée sous hégémonie masculine. Quoiqu’il en soit leur renommée excède rarement celle de l’homme et elles restent éclipsées par le talent ou la célébrité de leur mentor. Qui se souvient d’Elizabeth Siddal, poétesse, souvent dessinée et peinte par les préraphaelites ? Ou encore de Berthe Morisot, membre influent de l’avant garde impressionniste et muse d’Edouard Manet ? Force est de constater que la figure de muse est dévolue quasi-exclusivement aux personnages féminins. On ne retrouve guère de pendants masculins, si ce n’est Jean Marais pour Jean Cocteau, à la différence que les deux étaient connus et reconnus pour leur talent respectif.

Frida Khalo et Diego Riviera travaillant ensemble dans leur studio, photographie de 1945
Frida Khalo et Diego Riviera travaillant ensemble dans leur studio, photographie de 1945

La figure féminine qui a su dépasser la notion de genre est, sans nul doute, Frida Khalo. D’abord élève de Diego Riviera, elle a réussi à supplanter le maître en imposant un style et un nom. Le lien hommes/femmes artistes reste complexe et au delà d’une certaine émulation, l’homme semble vite se laisser envahir par un sentiment de jalousie tant pour la qualité des oeuvres produites que pour l’attention qu’elle procure. Eileen Gray a pu expérimenter ce type de relation avec Le Corbusier très envieux du modernisme de la Villa E1027.

De nos jours, la multiplicité des influences efface progressivement la notion de genre. Le terme de muse semble être tombé en désuétude, le concept de pygmalion est plus volontiers utilisé, preuve que rencontre et désir sont les maîtres mots dans l’impulsion créatrice de l’artiste.

Mathilde Saunier

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Un commentaire

  1. Oui, mais j’y pense : Ulay n’aurait-il pas été une sorte de muse pour Marina Abramovic? Ou plutôt l’ont-ils été l’un pour l’autre dans une sorte de moderne équité.

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