Art urbain et street génération

A la fin des années 1960-1970, une crise de la création frappe de nombreux secteurs culturels. Elle  remet ainsi en cause les idéaux de la modernité, de la société et de la culture fondés sur la foi dans la connaissance et le progrès.

L’Art, au sens large du terme, ne peut pas s’arrêter dans la mesure où celui-ci est en perpétuelle évolution. En atteste le brusque essor des mouvements artistiques contemporains qui se sont succédés à un rythme effréné, épuisant leurs programmes novateurs et vieillissant prématurément les courants avant-gardistes.

Que faire de neuf et de durable ? Telle est la question que semblent se poser les artistes post-modernes.

Caractérisés par une grande liberté d’expression, ces derniers tâtonnent, se réappropriant les techniques picturales traditionnelles, utilisant des objets réels, exécutant des installations ou tout autre moyen expressif pour créer une production artistique à la fois variée et hétérogène.

Aux Etats-Unis, la nouvelle génération élabore un nouveau type d’art, le premier à prendre l’espace urbain pour scène : le graffiti. S’il s’agit à l’origine de « tagger » son pseudonyme sur un lieu public, les graffitis du métro s’inscrivent vite comme un moyen de communication spontané de forte protestation sociale. Les « tags » se transforment  en véritable chefs-d’œuvre visuels : de larges images aux couleurs vives et à la composition complexe réalisées à la bombe aérosol dès le début des années 1980.

Aujourd’hui internationalement reconnu comme un mouvement artistique à part entière, le « street-art » subit désormais une profonde mutation portée, entre autre, par le charisme de ses nouveaux ambassadeurs que sont les « street-artists ».  

Toutefois, et après 40 ans d’art urbain, peut-on encore parler de street génération ?

Les pionniers :

Né à la fin des années 1960, c’est d’abord à Philadelphie (Pennsylvanie) que le « street-art » apparaît sous l’impulsion de jeunes graffeurs tels que Cool Earl ou Cornbread dit « le parrain du graffiti ».

Cornbread
Cornbread

Étroitement lié à la culture Hip-Hop, popularisée par la population Afro-américaine du Bronx, le graffiti construit sa notoriété aux Etats-Unis, où des artistes comme Taki183 et Stan153 fondent une véritable « école de New York » dès le milieu des années 1970.

 

Trouvant l’inspiration dans la culture populaire, particulièrement dans les tableaux de Roy Lichtenstein et les BD de Vaughn Bode, les prémices du « street-art » apportent bien vite une réponse à l’interrogation des artistes post-modernes. Il crée une culture sociale et esthétique totalement neuve, fondée sur la production d’images éphémères, en contravention avec la loi.

Considéré comme un simple acte de vandalisme au début des années 1980, le graffiti fait d’abord l’objet d’une lutte acharnée de la part des autorités new-yorkaises alors même que les galeries et institutions artistiques commencent à s’y intéresser de près.

Jean-Michel Basquiat (1960—1988) et Keith Haring (1958-1990) font partie de cette communauté artistique alternative qui occupe les rues et les métros de New York, avant d’être récupérés par les galeries d’art moderne.

 

Contraints de travailler vite, nous leur devons notamment un style fondé principalement sur la rapidité d’exécution, lequel s’inscrit alors comme l’une des caractéristiques principales du « graffitisme ».

Les nouveaux street-artists :

Comme la plupart des phénomènes portés par la nouveauté, le graffiti perd bientôt de son intérêt au yeux de la sphère culturelle, même s’il poursuit son développement au sein d’une communauté artistique underground.

Vers la fin des années 1990 émerge alors une nouvelle esthétique, aussi rebelle que le graffiti mais caractérisée par des techniques innovantes. Aussi l’on ne parle plus de « graffitisme » mais bel et bien « d’art urbain », qui utilise un grand nombre de médias : autocollants, affiches, peintures,…

En raison de sa facilité et de sa visibilité, le pochoir (ou « stencils ») devient l’une des techniques privilégiées de ce courant artistique à part entière, comme l’illustre l’œuvre prolifique de Banksy.

De son côté, Yz (prononcez Eyes) propose divers portraits féminins avec des parures réalisées à partir de matériaux de récupération, tandis que JR magnifie l’ordinaire et l’expose sur des posters en format XXL.

Cette nouvelle génération d’artiste, activistes urbains surmédiatisés, aura largement contribué à la renaissance et à la reconnaissance du street art au niveau mondial, notamment en se servant de l’émergence de l’art contextuel propre à notre ère artistique contemporaine.

Désormais, la réflexion sur l’environnement qui entoure l’œuvre l’emporte sur l’élaboration d’un langage simple et épuré prôné jusqu’alors par les artistes pionniers. En effet, loin de renier l’héritage de leurs aînés, les street artists d’aujourd’hui s’emparent régulièrement de problématiques importantes et universelles telles que l’environnement, les conflits géo-politiques internationaux, ou encore le traitement réservé aux hommes, femmes et enfants à travers le monde…

Fintan Magee - Drowning While Standing
Fintan Magee – Drowning While Standing

Très sensible aux grandes causes et à l’injustice, Banksy (dont on ignore toujours l’identité) fait donc régulièrement parler de lui, chacune de ses œuvres délivrant un message fort à destination des politiques ou des institutions. Comme lui, la plupart des artistes issus de la street génération n’hésitent pas à signer des œuvres véritablement engagées politiquement comme l’australien Fintan Magee, connu pour ses grandes fresques élaborées aux quatre coins du monde. Sa dernière création : Drowning While Standing (Noyé debout), réalisée à l’occasion du festival Urban Vision d’Acquapendente (Italie) fera l’objet d’un discours dans lequel l’artiste déclare : « Les jeunes se sentent ignorés par les politiciens qui se concentrent surtout sur les électeurs plus âgés et les baby-boomers[…].

Beaucoup d’entre eux se sentent déconnectés de la politique et de plus en plus cyniques au sujet du futur de la planète. Alors que les Etats-Unis se sont retirés de l’accord de Paris, cette fresque montre un jeune homme en train de se noyer debout. Son visage est enfermé dans du plastique, alors que l’eau monte, étouffe sa voix, le rendant muet et incapable de respirer ».

Parce qu’il s’invite délibérément dans notre quotidien, le street art tient incontestablement une place particulière dans le monde des arts visuels.

Porté aujourd’hui par l’engagement et le dynamisme de la nouvelle street génération, celui-ci ne cesse de s’ouvrir à d’autres perspectives créatrices tout en restant aussi engagé, rebelle et enraciné dans l’espace public qu’à ses débuts.

Marion Spataro

 

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