Loin d’être toujours sérieux, les artistes s’éloignent parfois des sujets historiques qui ont les bonnes grâces des commanditaires, pour se pencher sur des thèmes beaucoup plus triviaux et grivois. Certaines représentations du peuple au XVIème siècle passaient par ces rhétoriques, laissant à l’artiste une nouvelle marge de manœuvre éloignée des systèmes de commande. Aussi, aujourd’hui, parlerons-nous d’un tableau de taverne réalisé par le peintre bolognais Vicenzo Campi, Les mangeurs de Ricotta.

Le théâtre du peuple
Avant le XVIème siècle, le peuple était souvent représenté dans le fond du tableau, habillant l’arrière plan de scènes burlesques, de manches ou encore de rassemblements. Au premier plan, seules les personnes issues de la haute classe sociale étaient peintes, exhibant leurs atouts et leur richesse. Ainsi, lorsque Campi fait une peinture de la classe sociale plutôt pauvre de Bologne, il le fait dans un certain cadre : le théâtre.
La composition de ce tableau est relativement simple mais elle ne manque pas d’originalité pour l’époque. Placés dans un cadrage hyper serré, les personnages semblent propulsés en avant par un effet de lumière spectaculaire : le fond est plongé dans le noir et la lumière est parfaitement artificielle. Il ne manque plus que des rideaux rouges pour parfaire ce décor !
L’autre élément qui va venir corroborer la thèse du théâtre est l’identité même de ces quatre personnages. Peints en Commedia dell’arte, la femme est une zagna, paysanne pauvre et sotte dont le dialecte provoque le rire ; à sa droite Pantalone connu comme le vieux vicieux attiré par les chères fraîches ; refermant le cercle, deux zannis, pendant masculin de la zagna. Ces personnages tiennent donc un rôle, d’où leur faciès grotesque, leur sourire grimaçant presque effrayant. Il faut savoir que Campi avait nommé ce tableau « Buffonaria » (bouffonnerie donc) puisqu’il cherchait à provoquer le rire. En effet, à cette époque, la liesse n’était pas montrée car condamnée par l’église. Elle censurait via un système de mœurs. Ce n’est qu’après l’écriture de traités que ce sentiment fut légitimé comme expression des passions de l’âme et donc représentable.
La vanité des péchés
Mais tout de même, cela tient toujours de la vanité ! Campi ne le révoque d’ailleurs pas et vient même l’exagérer dans une scène de repas remarquable.
En effet, comme le nom de ce tableau l’indique, l’action prend place autour d’un fromage, particulier à l’Italie : la ricotta. Met souvent servi dans les tavernes avec du pain au raisin, il est prévu pour remplir les estomacs des moins fortunés. Et afin de le mettre en valeur, Campi va décomposer le geste de manger en quatre étapes, rendant la composition subtilement dynamique : la femme tient une cuillère vide, le Pantalone plonge la sienne, le troisième la porte à sa bouche et le dernier se goinfre. Nous sommes face à de la pure gourmandise dont la louche confirme la vanité. Ces personnages n’ont décidément aucune manières ! Ils sont l’archétype du gueux du moyen-âge.
Une autre vanité se cache dans ce tableau : la luxure dont la femme et le Pantalone forment le couple. D’ailleurs, longtemps censuré, des repeints de pudeur avaient recouvert une partie du décolleté de la paysanne, jugé trop généreux. En effet, elle est plantureuse et exhibe ses charmes, regarde le spectateur d’un œil coquin, l’invitant à se joindre à cette orgie culinaire et sexuelle. Sa main posée sur la table excuse cette invitation ; ses joues rosies montrent l’ivresse du moment. Ainsi, elle pourrait être une servante, la tenancière de la taverne ou même une prostituée. Le collier de perles corail qu’elle arbore autour du cou pourrait aller en ce sens : probablement fausses, elles viennent mettre en valeur son décolleté plongeant.
Le Pantalone à côté d’elle est un vieillard connu pour courir les jeunes filles et s’adonner aux plaisirs de l’existence. Ainsi, la relation qui animerait ces deux personnages se rapprocherait de celle de la nymphe et du satyre.
Campi a peint une “pitture ridicole” montrant de façon crue des gens du peuples : leur peau est tannée, leur dents sont sales. Ce tableau est là pour faire rire les hautes sphères. En effet, il fut commandé pour un réfectoire d’un couvent franciscain, ce qui peut paraître étonnant. C’est parce que ce tableau est plus fin que cela : Campi peint ici une vanité. C’est une métaphore forte des plaisirs vains de la vie.
D’ailleurs, la tentation est un véritable sujet dans cette peinture puisque les paysans nous font directement face, plongeant leur regard dans le nôtre, nous invitant à les rejoindre. Le fait d’avoir un tableau situé à hauteur d’homme, avec des personnages à taille réelle, participe à cet effet. Mais encore faut-il que le spectateur s’identifie à leur groupe.
[…] décomposition et donc à la mort. La présence d’une mouche rappelle cette idée, tout en étant un symbole traditionnel de vanité. On remarque aussi que le seul élément végétal présent est l’arbre installé sur le meuble, […]
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[…] En peinture, la représentation des sentiments, des humeurs ou encore des « états d’âme » s’affirme à partir de la seconde moitié du Quattrocento en Italie. Le sourire apparaît donc dans les œuvres de la Renaissance mais néanmoins de manière très contrôlée. En effet, les règles de la bienséance de l’époque exigeaient alors une maîtrise parfaite du corps, notamment de la bouche encore considérée comme le siège des plaisirs gustatifs et/ou charnels. […]
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