Le Petit Ouvrage du Bois de Bousse ou le Fort aux Fresques, situé à Hestroff (57), est un élément qui compose la ligne Maginot. Cette dernière est édifiée le long de nos frontières entre 1930 et 1940, et hérite des constructions de Vauban (le maréchal de Louis XIV) et de Seré de Rivières, ingénieur du fort de Verdun. Elle est connue comme un élément de défense lors de la Deuxième Guerre Mondiale mais il ne faut pourtant pas mettre de côté son intérêt interdisciplinaire : la ligne Maginot croise autant l’histoire militaire que l’histoire de l’art et la sociologie.
Les peintures qui racontent
Dans cet ouvrage du Bois de Bousse ou Fort aux Fresques, ont été réalisées des peintures murales : des maximes à l’attention des soldats et officiers telles que « Qui s’y frotte s’y pique » révélant un des aspects de la vie dans ces blockhaus. Toutefois, les longs couloirs et les pièces conservent aussi la mémoire des soldats comme en témoigne la peinture murale exécutée par Daniel Derveaux, artiste graveur originaire de Tourcoing, à l’automne 1939. Cette fresque est une commande du commandant d’ouvrage : le Fort aux Fresques devait servir de vitrine, notamment pour des civils (la presse), il fallait alors donner une ambiance plus agréable.

Cette iconographie illustre une scène se passant dans la caserne, devant l’infirmerie, et symbolise la maxime « l’union de toutes les armes fait la force de l’équipage ». Ces termes désignent le groupement interarmes (infanterie, artillerie, génie) sous les ordres d’un chef unique et qui doit assurer la défense du fort. Ils sont introduits par le général Gamelin qui a été marqué par l’analogie entre l’équipage d’un navire de guerre et un ouvrage fortifié. Cette phrase met en exergue l’importance de l’esprit d’équipe, afin de faire face à la guerre.
Cette fresque met en scène des personnages réels qui ont été mobilisés dans le fort entre 1939 et 1940. Dans la partie droite, les assaillants attaquent la porte de l’infirmerie, dirigés par le commandant Pierre Wolff. Réserviste, il est vêtu d’une robe de magistrat signe de son métier à l’extérieur de l’armée, brandit un sabre et est reconnaissable grâce à son grade de capitaine. Agenouillé, le lieutenant Gendre du 162e R.I.F., essaie de freiner la capacité de riposte de l’assiégé de l’autre côté de la porte. Appuyé par le lieutenant Simoens, torse nu, tenant un bélier et chargeant la porte et aidé par le sous-lieutenant Bath du 2e R.G., les hommes de l’équipage tentent de forcer l’ouverture de l’infirmerie. Le personnage à cheval sur le bélier, en armure et levant une lance, est le lieutenant d’artillerie Uhlmann, qui attend pour réduire l’assaillit à sa merci. Il est d’ailleurs possible de noter des références à Don Quichotte du roman de Miguel de Cervantès. Sur la bannière du lieutenant est inscrit « Les chevaliers de Moulins » afin de faire référence à la toponymie de Moulins-lès-Metz, où se trouvait la caserne du 153e R.A.P. A gauche, le médecin auxiliaire Caron se défend : installé sur la table d’examen, il assure sa défense grâce à une seringue contenant du bromure de potassium, un anaphrodisiaque mais aussi un sédatif, peut être à l’origine de la révolte des soldats ? A gauche, au crayon de papier a été dessiné le portrait d’un homme avec une croix gammée, juxtaposé au tableau d’un crâne – donc de la mort ? Il s’agit du dessin préparatoire portraiturant Hitler auquel Daniel Derveaux avait prévu de rajouter la phrase « l’art de pendre », ce qu’il faut rattacher au contexte historique de la drôle de guerre pendant laquelle on se provoquait mutuellement.
Montrer l’atrocité de la guerre
Cette peinture murale souligne que l’infirmerie est appelée « salle des tortures ». Les patients, soldats, y sont soignés avec des instruments chirurgicaux à l’image de la scie égoïne, chignole, marteau. Elle symboliserait le lieu où ces hommes sont pris en charge et où ils seraient entre la vie et la mort. Certains indices montrent que l’équipage n’était pas impatient d’aller voir leur médecin : l’araignée pendue à son fil et l’escargot qui prend la fuite sont bien là des signes d’une inactivité. En ce qui concerne la clef, elle pourrait signifier la volonté du soignant de résister et, à plus grande échelle, elle symboliserait la résistance d’un ouvrage face à l’assaillant. A cela, il est possible de rajouter en bas à gauche une souris qui n’a pas été colorée. D’autres symboles sont aussi des témoins de la vie quotidienne : les stalactites marquent la présence d’humidité dans les ouvrages. Situés sous terre, eux et les hommes pouvaient voir les effets de la condensation. Quand au masque à gaz il marque l’attente d’une possible attaque.
En pendant, une autre caricature illustre la vie des soldats et leur ressenti. Elle montre le commandant Pierre Wolff, surnommé « le Pacha », couché, lisant un livre, buvant du vin et fumant, alors qu’à l’arrière-plan un soldat monte au poste de combat en raison d’une alerte. A droite, le médecin « soigne » un patient : à l’instar de la première fresque, il semble que le docteur n’ait pas bonne réputation. La présence d’une enclume riant devant l’armoire à pharmacie appuie cet idée.

Ces fresques n’ont pas été terminées, il manque notamment les phrases que voulait écrire l’artiste : « Quelque part sous la ligne Maginot … descente du guet dans une officine clandestine ». Ces lacunes sont peut-être dues au fait que le commandant Wolff et le lieutenant Gendre ont quitté l’ouvrage en mars 1940, mais aussi au fait que la guerre se termine et que l’équipage reçoit l’ordre de se replier.
Les témoignages qu’elles nous laissent sont primordiaux : dans un ouvrage fortifié qui n’a pas été attaqué par les Allemands, les soldats ont dû faire face à l’attente. Les hommes n’ont pas de distractions et sont dans l’expectative d’une attaque ennemie. La vie quotidienne est un élément important de la guerre, elle donne des indications sur le moral des troupes. La caricature a servi de médium pour exprimer ce que vivaient les soldats, même s’il faut aussi y voir une marque d’humour, elles nous renseignent sur des pratiques dans l’armée, ainsi que sur l’état d’esprit de l’équipage.
Ophélie Nimeskern.