Yoshitaka Amano est probablement l’un des artistes contemporains japonais les plus connus, grâce à son travail sur la célèbre série de jeux vidéos Final Fantasy. Il l’a marquée par son style particulièrement raffiné et aérien a travers de nombreux visuels clefs depuis les années 80. Cependant, son oeuvre ne se cantonne pas à ce graphisme puisque Amano est reconnu pour sa diversité et sa richesse créative, son amour de l’expérimentation plastique, sa grande polyvalence et son exceptionnelle productivité. Partons maintenant à la découverte de cet artiste à l’imaginaire foisonnant, qui a contribué à donner au jeu vidéo ses lettres de noblesse.

Un artiste visuellement influencé par des genres bien établis…

Ayant débuté sa carrière dans le monde de l’animation et étant fasciné par l’univers mythologique et fantastique, Yoshitaka Amano a développé une bonne part de son activité autour des arts plastiques. La peinture et l’esthétique de grands courants l’ont particulièrement inspiré. Sa création est notoirement influencée (entre autres) par le style de Gustav Klimt (Sécession Viennoise) et de l’Art Nouveau d’Alfons Mucha. A l’image de ces mouvances, la figure humaine souvent féminine, constitue un motif récurrent de l’oeuvre d’Amano. Elle est intégrée à un décor généralement abstrait ou semi-abstrait, au sein de compositions faites de courbes et volutes. Il se centre ainsi généralement sur des personnages stylisés au teint diaphane et aux traits fins, qui semblent souvent flotter dans un environnement irréel et vaporeux. Les lignes fluides des vêtements et du fond, fréquemment rehaussées d’une profusion de motifs raffinés plus ou moins abstraits, et parfois des cheveux, dynamisent et structurent l’image en contrastant avec le blanc laiteux et immaculé de la peau des personnages.

L’influence de Mucha est particulièrement visible dans la manière dont les personnages s’intègrent d’une façon presque organique au décor stylisé qui les environne et les magnifie. Les figures masculines, toujours très androgynes, apparaissent tantôt en guerriers, tantôt en couples, faisant écho au Baiser de Klimt par la façon dont les personnages semblent fusionner dans une forme globale, représentation quasi-spirituelle et idéalisée de l’union.
Mais l’artiste ne puise pas son inspiration uniquement dans l’art occidental. Ses personnages qui ne semblent pas faire partie de notre monde, et les motifs sophistiqués des habits qu’affectionne souvent Amano, font en effet penser à la représentation de la bijin (« jolie femme ») de l’art traditionnel japonais. Par ailleurs, certaines de ses oeuvres comme ses illustrations du Dit du Genji (un classique de la littérature japonaise), illustrent plus directement des sujets liés à la mythologie et à l’imaginaire nippon.
…dont le travail met à mal la distinction entre arts et industries culturelles
Amano le dit cependant lui même : il ne porte généralement pas de regard analytique ou intellectuel sur son travail, et ne désire rien d’autre que de pouvoir apporter dans le monde réel la magie des univers merveilleux. Estimant que l’artiste ne devrait pas chercher à imiter sciemment d’autres styles, Amano conçoit un art farouchement unique qui se veut n’être l’héritier d’aucun courant. Cet état d’esprit lui permet de produire un travail tentaculaire et parfaitement inclassable qui s’émancipe de ses sources d’inspirations. Ainsi, difficile par exemple de trouver une constante dans les nuances de couleurs : elles font le grand écart entre des teintes franches et chatoyantes – à la limite du psychédélisme – des tons plus sombres et feutrés, ou encore des ambiances légères aux tons pastels.
Mais au delà même de cette souplesse stylistique, la polyvalence d’Amano lui permet de travailler sur une grande diversité de projets dans le secteur des industries culturelles, sans pour autant faire de compromis sur son style visuel. En effet, il est important pour lui de ne pas prendre l’oeuvre d’art pour un produit culturel, et inversement, malgré le lien étroit que les deux peuvent entretenir. Là où le produit est selon lui un édifice collaboratif, l’oeuvre est le fruit du travail d’une seule personne, d’une individualité. Néanmoins, l’objet final peut intégrer l’oeuvre d’art comme contribution et lui donner une visibilité populaire, et la création peut lui donner un cachet visuel, afin de marquer les esprits en la singularisant. Il ne s’agit donc pas de séparer les deux comme on tend à le faire si souvent, mais bien de discerner leur complémentarité. Le travail considérable d’Amano a très certainement contribué à faire tomber ce clivage qui interdisait à des formes créatives telles que le jeu vidéo, d’être considérées comme autre chose que des divertissements incapables de nourrir l’imagination.

Manoël Legras