Antoine Brodin, souffleur de verre, alimente l’actualité culturelle de l’artisanat d’art. Sa sculpture Migration, en cours de réalisation, a reçu en mai dernier le prix de l’Œuvre de la fondation d’Ateliers d’Art de France. Intriguée par ses réalisations, j’ai décidé de rencontrer directement l’artiste installé dans un petit village dans le sud de l’Ardèche.

Ainsi depuis 3 ans, Antoine Brodin occupe les locaux de l’ancienne école communale du village ardéchois, où tableau noir au mur et préau, seuls vestiges du passé, ont laissé place à l’atelier-boutique et aux fours imposants.
Mêler les traditions
D’abord initié au dessin, l’artiste a découvert le travail du verre par la restauration de vitraux. Rapidement conquis par cette matière, il part se former aux quatre coins du monde. Des Etats-Unis jusqu’en Bohème, il se confronte à différentes méthodes de travail, qui au-delà des techniques et outils ancestraux communs, sont particulièrement imprégnées de la culture du pays : le Japon où tout geste pensé se retrouve dans la perfection, face à l’art bruyant du verre de Murano.
La maîtrise du soufflage de verre acquise, Antoine Brodin laisse parler librement son talent par les procédés qu’il a su développer, alliant techniques traditionnelles et numériques. XXIe siècle oblige, la collaboration avec un fablab l’a aidé à modéliser les moules de ses crânes d’oiseaux, qu’il produit en série. Poussant les limites de la technique, le sablage qu’il applique laisse apparaître une fine dentelle de verre, composée de motifs inspirés des moucharabieh qui contrastent avec l’aspect brut de la matière.

La « patte de l’artiste » se retrouvera également appliquée sur chaque élément de la sculpture primée. Le travail du verre est donc l’art de l’équilibre, de la justesse ; bonne température pour éviter la fusion ou la casse, bonne épaisseur pour effectuer le sablage qui laissera entrevoir les ornements.
Trouver le bon geste associé au bon souffle

Migration, projet pensé depuis 5 ans, prend l’allure d’une imposante barque « squelette » en verre soufflé de 4 mètres de long. L’exigence que demande le travail du verre prend ici toute sa mesure tant la réalisation semble mettre à l’épreuve le savoir-faire de l’artiste. Pour obtenir les 8 différents galbes qui composeront l’ossature, Antoine Brodin a dû faire appel à un forgeron pour la conception de moules en métal sur mesure. Indéniablement, l’exercice du verre apprend patience et rigueur. Façonner le verre se fait en continu : l’artiste et ses deux assistants ont effectué des essais pendant plusieurs jours sur la forme parfaite à adopter. Le verrier semble multiplier les écueils puisque il a choisi de teinter sa barque en rouge, qui est, en raison de sa composition chimique, la couleur la plus difficile à obtenir ; une semaine de tests aura été nécessaire pour atteindre la nuance rubis escomptée.
Pour celui qui réfute l’idée de l’artiste maudit, je m’interroge alors sur cette redondante « morbidité » dans ses réalisations. Triste référence à l’actualité? Barque naufragée? Squelette de mammifère marin? La sculpture joue davantage sur la confusion des genres ; la migration des hommes, des matières, des cétacés dans l’océan. Le verrier répond qu’il vise d’abord l’organique présent dans chacune de ses créations. Il pense un art directement inspiré de la nature, on comprend alors mieux l’attrait pour le land art d’Andy Goldsworthy, qu’il cite en source d’inspiration. Après 9 mois de conception, l’œuvre partira à Paris où elle sera exposée à la galerie Collection dans le Marais. Le souffleur de verre espère qu’elle reviendra ensuite en Ardèche.
L’après Migration ? L’artiste n’y pense pas trop, pour celui à qui le prix a donné une véritable « respiration » et une visibilité dans son parcours. En effet Ateliers d’art de France, syndicat professionnel du secteur de métiers d’art, multiplie les actions de reconnaissance pour ces créateurs avec le salon Révélation Biennale métier d’art et création au Grand Palais, édition à laquelle Antoine Brodin a participé en 2017. Malheureusement on ne dénombre qu’une petite soixantaine de souffleurs de verre en France et on ne peut que se réjouir des initiatives pour la mise en lumière des métiers d’art et de leur savoir-faire.
Mathilde Saunier