[ANALYSE] L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, Ingres

En visite au musée, les petits tableaux sont parfois ceux qui nous réservent le plus de surprises. En vous baladant par exemple dans les couloirs du Musée des Beaux-Arts de Lyon, vous êtes peut-être passés à côté d’un tableau d’Ingres de 32cm de large, sans le voir : il s’agit de L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, une de ces toiles qui méritent qu’on les regarde de très, très près !

Ingres, L'Arétin et l'envoyé de Charles Quint, 1848
Jean Auguste Dominique Ingres, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, Huile sur toile, 41,5 x 32,5 cm, 1848. Photographie Deuxième Temps, Musée des Beaux-Arts de Lyon

Une confrontation

Commandée en 1848 par un mécène proche du peintre, l’oeuvre a été montrée à l’Exposition universelle de 1855. On se trouve dans une scène d’intérieur, dans laquelle deux personnages se font face. Le riche vêtement jaune de l’homme debout l’identifie comme l’envoyé de Charles Quint, l’autre serait donc L’Arétin. Leurs désignations nous permettent de situer la scène au XVIe siècle. En arrière-plan de la scène, différents tableaux-dans-le-tableau confirment ce placement chronologique. On peut y reconnaître des toiles de l’époque, ainsi qu’un portrait de Titien, qui était ami avec l’Arétin.

Ingres, L'Arétin et l'envoyé de Charles Quint, 1848, détails
Ingres, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, 1848, détail, photographie Deuxième Temps

Il faut ensuite se pencher sur la composition, pour saisir la scène à laquelle on assiste. Le tableau est scindé en deux par une composition en diagonale, qui marque l’opposition des personnages. Le point de convergence des lignes du tableau se situe à l’emplacement du visage et des mains de L’Arétin, focalisant l’attention du spectateur. Tout semble opposer les deux personnages : le corps de l’envoyé de Charles Quint est raide et s’inscrit dans une forme rectangulaire, alors que celui de L’Arétin suit un mouvement de courbes, puisqu’il est installé avec nonchalance. La posture de dos de l’envoyé accentue son côté anonyme, alors que l’écrivain est représenté de face, affirmant son statut. De même, l’envoyé est en tenue d’apparat, quand l’écrivain est en robe d’intérieur. Mais de quoi parlent-ils ?

Le fléau des princes

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Ingres, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, 1848, détails, photographie Deuxième Temps

L’Arétin est un écrivain italien connu pour ses lettres, qu’il publiait, qui dénoncaient et moquaient les puissants. Il était redouté pour ses propos, qui lui donnèrent le surnom de “fléau des princes”. Certains le détestaient, mais d’autres ont choisi d’acheter son silence et de s’allier à lui, comme François Ier. C’est un de ces échanges entre l’écrivain et Charles Quint qu’Ingres a choisi de représenter ici. Selon l’histoire, c’est après un échec militaire cuisant que l’empereur aurait voulu acheter le silence de L’Arétin. Il lui aurait fait remettre une chaîne en or, que l’on retrouve ici dans la main de l’écrivain. Mais la transaction semble mal se dérouler. La tension qui émane de la scène, ainsi que l’opposition nette entre les personnages sont marquées par différents détails. D’abord, on peut voir des papiers déchirés aux pieds de L’Arétin.

Ingres, L'Arétin et l'envoyé de Charles Quint, 1848, détails, photographie Deuxième Temps
Ingres, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint, 1848, détails, photographie Deuxième Temps

On peut supposer qu’il s’agit de la missive de l’empereur, que le poète aurait jetée, lui manquant profondément de respect. On remarque également l’expression dédaigneuse inscrite sur son visage, qui prouve qu’il accueille mal cette tentative de pot-de-vin. L’insolence de sa réaction provoque logiquement la rage du messager, qui saisit son épée d’une main et serre le poing de l’autre.

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La légende dit que l’Arétin aurait même déclaré qu’il s’agissait « d’un bien mince cadeau pour une si grande sottise » ! Pour certains, la réaction de l’Arétin est due au fait qu’il a estimé le pot de vin trop faible pour le service demandé par Charles Quint, en vraiment mauvaise posture à ce moment. Ici, il ne traite d’ailleurs pas l’envoyé de façon respectueuse, puisqu’il le reçoit dans sa chambre à coucher. On peut reconnaître un lit à baldaquin en arrière-plan, et même distinguer deux jeunes femmes nues derrière un rideau : ce sont bien les puissants qui s’adaptent à lui et non l’inverse. (ci-dessus, sur la droite de l’image)

L’Arétin a donc tous les pouvoirs dans cette confrontation. Par cette représentation, c’est l’affirmation de la liberté de l’artiste qu’Ingres met en avant, puisque le poète est le seul à pouvoir fixer les prix de ses services, devenant dangereux pour les puissants. Ce choix était en réalité important et très symbolique pour Ingres, qui s’identifiait à L’Arétin. Par le choix de ce sujet, il pointait l’indépendance du créateur face aux puissants, à une période où ses orientations politiques étaient parfois remises en question.

Céline Giraud

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