Francis Bacon, peintre anglais autodidacte des années 50 se fait connaître après la seconde guerre mondiale par sa peinture très expressive. Souvent décrié pour sa violence, son art se déploie dans de grands triptyques, dans lesquels il peint ses thèmes de prédilection : sa vie, ses amis…
D’un autre côté, Bruce Nauman, artiste américain contemporain, se détache de la peinture figurative du premier en multipliant les supports artistiques. Pionnier de l’art vidéo, il explore les médiums les plus divers et reste essentiellement connu pour ses installations lumineuses avec des néons multicolores.
Un art du corps
A l’occasion des 10 ans du nouveau Musée Fabre de Montpellier, les commissaires d’exposition Cécile Debray (ancienne conservatrice du Centre Pompidou) et Michel Hilaire ont réuni une soixantaine d’œuvres des deux artistes autour d’une exposition en face à face. Cette rencontre inattendue, de premier abord, est pensée comme un parcours où les œuvres se confrontent, dialoguent, pour finalement se rejoindre autour de cinq sections savamment choisies : Cadrage / Cage ; Mouvement / Animalité ; Corps / Fragment ; Piste / Rotation ; Réflexion / Portrait. Ce « face à face » se renforce par la scénographie particulière (confiée au cabinet The Cloud Collective), puisque à quelques exceptions près, l’accrochage ne permet pas un regard simultané des œuvres de Bacon et Nauman.
Ces deux générations d’artistes, qui ont développé des propositions artistiques dans des contextes différents, partagent néanmoins la même vision (désenchantée) de la condition humaine. Le choix des œuvres présentées nous permet de saisir leurs similitudes notamment dans leur approche du corps, véritable fil rouge de l’exposition. Exposé nu, en portrait, défiguré, ou encore démembré, le corps est au centre de leur travail.

L’implication personnelle des deux artistes est également extrêmement prégnante tout au long de la visite. Pour Nauman, elle est physique. Dans Art make up son corps devient son propre médium, son instrument. Il devient la toile, les mains, les pinceaux s’affranchissant ainsi des techniques traditionnelles. Pour Bacon, elle est émotionnelle et il n’hésite pas à s’inspirer de sa vie amoureuse pour nourrir sa peinture. Dans le tableau sur le suicide de son amant Georges Dyer en 1971, on assiste à une déconstruction du processus pictural. Véritable obsession chez Bacon, la représentation du corps morcelé est très certainement héritée des œuvres de Picasso dont l’exposition de 1927 « Cent dessins de Picasso » marqua l’esprit et la technique du peintre. À travers l’expression du corps en souffrance, il souhaite que ses œuvres puissent agir « directement sur le système nerveux ».
L’animal hybride
La figure animale présente chez les deux artistes, prolonge leur volonté de faire réagir par ce qui est donné à voir. Dans Triptych, Bacon, inspiré d’un poème de Garcia Lorca, dénonce la corrida et la cruauté animale. Chez Nauman l’intérêt pour la faune se manifeste dans la représentation de créatures hybrides ou l’installation de chiens démembrés comme dans Butt to Butt, faisant écho à la violence pratiquée dans les abattoirs.
Leur processus créatif mouvementé n’en écarte pas moins l’esthétisme. Dans l’horreur de ces représentations, rien ne semble être laissé au hasard. Le jeu des couleurs par l’aplat de rouge et noir chez Bacon, contraste avec le « maquillage » et l’aspect « gold » des sculptures difformes de Nauman. La notion d’espace prend toute sa mesure dans leurs productions. Gardant le corps en point focal, son traitement est très cadré dans les vidéos de Nauman tandis que Bacon le peint sous toutes les coutures comme une prévisualisation en 3D de ses scènes dramatiques.
Fascinés par le corps, le goût pour la distorsion, la sensation de violence, d’équilibre ou l’exact inverse, les deux artistes vivent et pensent l’art comme une expérience à laquelle le spectateur est convié. Le talent des commissaires dans la conception de l’exposition et la réunion de ces deux artistes, permettent de mieux comprendre ces créations et leurs points de convergence au delà des apparences. Les œuvres mises en valeur par la scénographie, agissent comme un catalyseur de compréhension et donnent au visiteur les clés pour saisir l’art de chacun.
L’audace de cette confrontation inédite renouvelle le regard sur ces deux artistes témoins de leur génération.
Mathilde Saunier