Frida Kahlo fait partie de ces artistes qui ont marqué l’histoire de l’art. Mexicaine, elle a contribué au devenir du Surréalisme ; active politiquement elle a rencontré de nombreuses figures du XXe siècle qui ont changé le cours de l’histoire ; femme, elle a montré avec force le sexisme ridicule dans lequel la société pensait pouvoir l’enfermer.
Sa monographie est marquée par de nombreux autoportraits dans lesquels elle s’est mise en scène pour s’extirper d’une santé fragile et paralysante. Plusieurs sont frappants, notamment l’Autoportrait aux cheveux coupés.

Faire front

De sa vie publique, nous savons que les engagements politiques de Kahlo étaient liés au communisme (comme utopie sociale). Mais son combat ne s’arrêtait pas à cela puisque sa vie personnelle la forçait à affronter de nombreux obstacles. Et c’est d’abord la force de caractère avec laquelle elle a regardé ces embûches dressées qui me frappent chez cette personne.
En 1925, elle fut victime d’un accident qui provoqua de graves complications au niveau de sa colonne vertébrale. Mais loin d’en faire un événement misérable, elle l’utilisa avec force, démontrant sa détermination, malgré ce qui deviendra plus tard un véritable handicap. Dans de nombreux portraits, elle se montre alitée et parfois brisée dans sa cage de fer.

Mais sur ce portrait de 1940, Kahlo n’est pas encore clouée à son lit d’hôpital ou à sa chaise roulante, et n’en rapporte donc pas la douleur comme on peut le voir dans Le rêve. Cette huile relate un autre pendant de sa vie, tout autant intime et important : l’amour. Nous savons que Frida Kahlo était mariée avec un autre grand artiste mexicain, important pour la culture surréaliste, Diego Rivera. Mais loin d’être purement idéale, leur relation fut jalonnée de violences, tromperies, fausses couches, jalousies et d’un alcoolisme maladif, les menant inévitablement au divorce. C’est d’ailleurs de cet événement intime que l’artiste nous parle dans cet Autoportrait aux cheveux coupés.
Assise sur une chaise en bois, au milieu d’une pièce vide, elle nous fait face. Le regard perdu au loin, regarde-t-elle le spectateur ou bien le futur avec défiance ? En tout cas, elle semble parfaitement sereine.
À la main, elle tient des ciseaux ouverts nous donnant une clé de lecture importante pour comprendre ce tableau : en effet, il ne s’agit pas seulement de faire un autoportrait mais de signifier la capacité de Kahlo en tant que femme, à se libérer de sa douleur et de ses chaînes. Et pour le comprendre, penchons-nous sur les cheveux et la partition, entête de la toile.
Rompre avec les symboles de la féminité
Cet autoportrait est fortement marqué par la volonté d’émancipation. Même si de prime abord, rien ne permet de le constater, il ne faut pas oublier le contexte de création. Au milieu des années 1900, les femmes mexicaines étaient loin d’avoir les mêmes droits que les hommes, surtout celles divorcées, seules ou même veuves qui devenaient des parias dans la cité.
Dans cette peinture, il faut donc noter la symbolique des cheveux, éléments participant au cliché social de la construction de l’identité de la femme : longs et ondulés, ils arborent fièrement une certaine féminité. D’ailleurs, ceux qui connaissent le travail de Kahlo auront peut être été frappés par sa coupe inhabituellement courte. En effet, si nous devions symboliser son physique, nous pourrions le faire par sa longue chevelure, son monosourcil et son duvet au dessus de la bouche, éléments contradictoires en genre diront d’aucuns, mais forts et surtout revendiqués par l’artiste. Seulement, dans cet autoportrait, les cheveux ne sont plus en chignon mais jonchent le sol. Et c’est la partition de musique qui va nous en donner une clé de lecture : “Regarde si je t’ai aimé, c’était pour tes cheveux ; maintenant que tu es tondu, je ne t’aime plus”. La violence des paroles, rappelant fortuitement de sombres périodes de l’histoire, ramènent ici à la valeur des cheveux de la femme. Ce chant d’amour mexicain parle de la difficulté pour les femmes de s’émanciper de la critique virulente dont elles sont sujettes une fois qu’elles divorcent. Se couper les cheveux est considéré comme étant un acte humiliant : elles ne pourront plus être désirées, elles seront déshonorées. Mais loin de se contraindre à de telles allégations morales, Kahlo en joue, se représentant en costume masculin, bravant la bien-pensance. Ses cheveux sont des vestiges du statut marital passé, dont la tresse au premier plan rappelle des souvenirs. La pièce n’est donc pas vide mais remplie du symbole fort de l’émancipation sociale à laquelle la société mexicaine aurait voulu soumettre l’artiste.
Frida Kahlo livre ici un autoportrait remarquable : elle semble y exprimer sa volonté d’avancer, non avec violence mais avec paix. Elle garde sa contenance malgré le poids des juges moraux de la société. Sa beauté n’est plus servile, comme le montrent ses cheveux morts s’enroulant autour des barreaux de la chaise, telles d’anciennes chaînes.
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