En 1956, l’exposition « This is Tomorrow » de Whitechapel (Londres) célèbre la culture populaire américaine. Accueillis au son des jukebox, les spectateurs découvrent les œuvres d’artistes qui revendiquent l’héritage d’une longue tradition tout en s’inspirant de l’iconographie et des techniques de la culture de masse.
Art « populaire »
Bien avant l’avènement du Pop’Art, Richard Hamilton offre au monde une définition avant-gardiste d’un courant artistique capable, à lui seul, de remettre en cause l’hégémonie de l’expressionnisme abstrait :
« Populaire (conçu pour un vaste public) ; éphémère (une solution à court terme) ; jetable (facilement oublié) ; bon marché ; produit en masse ; jeune ; spirituel ; sexy ; pleins d’astuces ; fascinant et qui rapporte gros »

Une description similaire à celle de la publicité qui, bien souvent, vulgarise, détourne et s’inspire d’œuvres emblématiques pour vendre divers produits et services. Ainsi, La Laitière de Johannes Vermeer est désormais entrée dans la postérité en servant d’égérie marketing à une célèbre marque de desserts lactés. Néanmoins, de multiples interrogations surgissent vis-à-vis de cette sur-popularisation de l’art. La publicité actuelle peut-elle réellement s’approprier les chefs-d’œuvres de notre patrimoine artistique, sans risquer d’altérer leur valeur et leurs significations ?

Les amoureux des beaux-arts – qu’ils soient ennemis de la société capitaliste ou esthètes en porte à faux avec la vulgarité de la société moderne – sont d’abord déroutés par ces multiples réinterprétations qui embrassent sans scrupule les aspects les plus éhontés de la culture de masse. Pourtant, c’est en désacralisant ce même tableau, malicieusement réintitulé L.H.O.O.Q La Joconde moustachue (1918), que Marcel Duchamp a confirmé sa notoriété, déjà acquise avec Urinoir-Fontaine (1917) et Roue de bicyclette (1913).
Aussi, il serait particulièrement ardu de considérer les publicitaires comme de simples copistes plus ou moins provocateurs. Sans aller jusqu’à gratifier ces derniers d’un statut d’artiste inapproprié, acceptons néanmoins que leur démarche s’inscrive aujourd’hui dans une culture commerciale elle-même inspirée du Pop’Art ou du Dadaïsme.
Une popularisation dangereuse
Si l’on considère que la fonction première d’une œuvre d’art est d’être vue, une question subsiste vis-à-vis de la sur-exposition de certaines d’entre elles. En effet, rappelons que la publicité est un moyen de communication de masse, capable de s’adresser à un public extrêmement nombreux. Par ailleurs, les publicitaires ne sont pas tenus d’assurer la promotion des œuvres d’art qui, telles des ready-made, sont délibérément ôtées de leur contexte d’origine pour véhiculer différents messages publicitaires. Or, la popularisation excessive de certaines œuvres pose désormais le problème de l’identification de celles-ci, allant même jusqu’à remettre en cause leur valeur.
Dans un sens purement économique, la valeur d’une œuvre d’art s’évalue généralement par rapport à sa rareté. Aussi, plus un bien est rare, plus son prix devient onéreux. En suivant cette logique, que penser d’une œuvre désormais accessible à tout un chacun au prix d’un pack d’eau minérale*?
Par ailleurs, le détournement intempestif de certains chefs-d’œuvres a souvent contribué à une identification erronée des œuvres en question, désormais indissociables des produits dont elles sont l’effigie dans l’esprit du public.
C’est le cas notamment pour l’ensemble des œuvres de Roy Lichtenstein, automatiquement associée à la marque d’eau gazeuse Perrier.

Ainsi, la popularisation de l’art via la publicité représente un danger potentiel pour l’art dans la mesure où cette dernière s’approprie des chefs-d’œuvres, symboles de notre patrimoine artistique, qu’elle désacralise en les inscrivant dans une culture de masse. A notre charge donc, citoyens éclairés, de ne pas se laisser aveugler par la prolifération d’images publicitaires et de nous concentrer sur l’un des principaux avantages de la culture commerciale : celui de poser un œil neuf sur la richesse de notre patrimoine artistique.
Marion Spataro
* « La Naissance de Vénus » (1485) de Sandro Botticelli a été utilisée par la marque d’eau minéral Courmayeur.
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[…] vous en parlait déjà dans cet article, le marketing publicitaire peut détourner l’art pour en faire un objet purement commercial. […]
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