L’une des raisons pour lesquelles les gens aiment l’art est le sentiment d’évasion que celui-ci procure. Si c’est un ressort du sens commun, pour certains créateurs c’est aussi la stricte vérité, à l’image de KangHee Kim. Interdite de sortie du territoire nord américain à cause de son visa, elle a décidé de faire de cette situation un élan créateur.
Du surréalisme dans le réel
Basée à Brooklyn, ses photographies témoignent de ses errances urbaines. Cherchant les détails qui ressortent et attirent l’œil, ses clichés sont souvent banals. Mais d’eux, elle arrive à créer une image à consonance surréaliste et poétique.

Pour ce faire, elle garde toutes les imperfections du quotidien, puis incruste des ouvertures vers d’autres lointains. De cette manière, KangHee Kim retrouve la liberté qui lui a été enlevée et s’échappe des contraintes de la vie réelle.
Je ne peux pas voyager à cause des restrictions de mon visa. Je modifie et détruis même des scènes de mes photographies originales afin de créer un nouvel espace.
La photographie ci-dessus exprime ce sentiment d’évasion : associant la porte de sortie à un paysage marin de couché de soleil, la métaphore est univoque. Son travail nous fait

alors regarder au travers de percées, parfois créés en post production ; KangHee Kim tient du bout des doigts un ailleurs, mais celui-ci semble bien difficile à atteindre, rappelant ainsi sa propre condition : ces autres lieux sont autant d’oasis dans le désert.

Globalement dans des tonalités douces et pastels, ses images sont à la fois mélancoliques et amusantes. Son travail fait d’ailleurs penser à celui de Magritte qui, en 1964, proposait Le Pays des miracles. Artiste bien connu du mouvement Surréaliste, il a travaillé sur l’illusion de l’image.
Comme chez KangHee Kim, Magritte incruste dans sa nature morte, un paysage champêtre. Le traitement 3D du contour du bouquet, donne l’impression que nous pouvons entrer dans le tableau : en effet, si la première image nous confronte à un mur marron et infranchissable, l’ouverture bleue nous offre un espace infini. L’évasion est possible.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que les motifs du ciel et des nuages sont récurrents chez ces deux artistes. En effet, la percée ne se fait pas n’importe où, mais sur un endroit vaste et différent de celui du premier plan.
Ces deux toiles pourraient aussi illustrer Alice au Pays des Merveilles ou De l’autre côté du miroir. Les paysages, ces ailleurs, sont imaginés, fantasmagoriques et finalement des illusions. Sans doute que les nuages participent à cet effet, notamment en conférant un aspect vaporeux aux créations. Comme l’héroïne Alice, nous ne savons plus ce qui est de l’ordre du réel ou de l’irréel : est-ce la porte et le béton, ou bien la plage et les montagnes ? Et puis surtout, dans quelle réalité, nous spectateurs, souhaiterions-nous nous projeter ?
Les trompes l’œil de KangHee Kim et de Magritte offrent une nouvelle liberté. Ne se contentant plus de l’espace pictural, de la réalité matérielle ou de la physique, ces artistes nous proposent une vision surréaliste de ce qui les entoure. Extirpant des détails du quotidien de leurs aspérités simples, ils donnent à leurs images un caractère poétique. Certains motifs évidents comme la porte, l’horizon lointain et les nuages, témoignent de la volonté d’évasion de Magritte et de KangHee Kim. Est-ce alors pour nous montrer leur paradis perdu ou bien d’autres perspectives ?