Esthétique Punk : la rage créatrice

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Le groupe mythique de la scène punk, les Sex Pistols.

Nombreux sont les courants artistiques contemporains qui revendiquent une créativité radicale, une critique absolue de tout ce qui pouvait se faire par le passé. Mais, au milieu de ce ces écoles bien instituées, une vague esthétique particulièrement sauvage et éphémère frappe les années 70 : le punk (voyou en anglais). La première image qui se présente à l’esprit lorsque l’on évoque ce mouvement est celle de jeunes anarchistes violents, vulgaires et asociaux. Difficile à première vue d’identifier un souffle artistique dans cette sphère culturelle underground, en particulier lorsque on associe art et « élévation de l’esprit par le Beau ». Et pourtant, le punk nous évoque également cette esthétique si particulière qui se manifeste en grande partie dans le style vestimentaire : couleurs criardes, slogans provocateurs, formes tranchantes et effilées (la fameuse crête iroquoise illustrant bien cette esthétique de la pique). Cette débauche visuellement agressive n’est pas faite pour plaire au regard, bien au contraire. C’est précisément cette violence visuelle qui fait sa force et en explique la portée au delà des cercles culturels underground.

Diogène par John William Waterhouse (1882
Diogène par John William Waterhouse (1882)

Le père du cynisme grec, impertinent et volontairement coupé du monde. Un ancêtre du punk ?

No Feelings - Reid
No Feelings par Jamie Reid (1977).

A l’origine de la furie créatrice punk, un sentiment de claustrophobie sociale

Le punk contre l’ambiance sociale

En effet, le contexte d’émergence de la vague punk n’est pas propice à l’optimisme pour la jeunesse ouvrière de cette époque : avec un chômage en hausse et un contexte économique de plus en plus sombre, le manque de perspective d’avenir se fait cruellement ressentir, et l’heure n’est plus aux chants d’espoir et de fraternité hippies. Décennies des grands courants de revendication politiques (féministes, jeunes, queer…) qui exigent une refonte profonde des rapports de pouvoirs sociaux, les scènes musicales contestataires gagnent elles aussi en visibilité. Le groupe des Sex Pistols, référence punk absolue, clame ainsi en 1977 « No futur for you, no future for me ! ». Pas d’avenir, ni de perspective donc, mais ce n’est pas une raison pour cesser de vivre et se prostrer dans le défaitisme, bien au contraire : il faut vivre fort, s’amuser à tout prix tant que c’est encore possible, tout en ne laissant pas le monde implacable du capitalisme et de la consommation « béate » oublier l’existence de cette génération sacrifiée. Et quoi de mieux que des images fortes et un style vestimentaire impertinent pour marquer les esprits ?

Groupe de punks - anneģes 70
Un groupe de jeunes punks au style aisément reconnaissable

No Future (God Save the Queen) par les Sex Pistols (1977)

À mort le cool

Le visuel occupe donc bien une place de choix dans la culture punk : les bandes musicales comptent sur leur image de bad boys et bad girls pour fédérer ce public avide d’autre chose que des Beatles et autres égéries « niaises » des années 60. Fini le look naturel hippie : les cheveux sont volontiers teints de couleurs pétantes, le corps est percé, envahi de chaînes et de tatouages, et devient un véritable lieu de revendication et de réappropriation individuelle. La douleur charnelle est ainsi acceptée permettant une reconnaissance collective de cette identité culturelle : on se voit entre pairs, et on affiche au monde son refus des normes sociales de beauté et de convenance. Les vêtements sont usés, troués, réutilisés, dénichés un peu partout… à l’opposé du « cool » populairement adopté se confronte donc une présentation de soi décadente. Mais la mode n’est pas le seul espace d’expression de la patte visuelle punk : plusieurs artistes peuvent ainsi en être qualifiés, le plus connu d’entre eux étant le concepteur des pochettes d’album des Sex Pistols, Jamie Reid. Son travail, basé sur des découpages et collages de lettres et de motifs, subvertit des lieux communs de la culture visuelle partagée. Ces images fabriquées de toute pièce traduisent la philosophie libertaire du do-it-yourself, vantant débrouillardise et astuce mêlées à une inventivité sans borne. Il n’est, ainsi, pas nécessaire de créer avec de gros moyens, bien au contraire. Ce serait faire le jeu du système de consommation de masse, tant critiqué par le punk. L’inventivité est ici intimement liée à l’autonomie matérielle : être libre de l’industrie culturelle capitaliste implique certes de disposer de peu de moyens, mais cela permet en conséquence de favoriser une créativité hors des sentiers battus, des contraintes morales que les attentes d’un public massifié créent inévitablement.

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La Joconde fumant la pipe par Sapeck (1887) / God Save the Queen de Jamie Reid (1977).

Entre Art Incohérent de la seconde moitié du 19ème siècle et art punk, une parenté dans la dérision.

Mais alors, le punk et son insolence visuelle se sont-ils éteints avec la mort de l’égérie des Sex Pistols, Sid Vicious, en 1979 ? Bien que le punk n’ait pas généré de courant artistique bien précis ou structuré, cette synthèse originale de libertarisme créatif, de débrouillardise et de provocation assumée, dans le lignage de l’Anti-art, du Théâtre de la cruauté, du Rockn’roll et de Dada, en a fait une source d’inspiration. De nombreux graphistes, plasticiens et interprètes musicaux se retrouveront dans l’esthétique trash fortement portée par le punk,  comme le groupe Velvet Underground, produit par Andy Warhol. Par ailleurs, cet imaginaire se retrouve inévitablement dans les représentations communes, symbole d’un monde repoussant car rejetant les conventions sociales, mais attirant par sa force évocatrice. Et pour cause, son message premier touche chacun d’entre nous à divers degrés : agissons, bougeons, crions, chantons coûte que coûte, même si cela ne mène à rien, même si ça n’a aucune signification immédiate et évidente. L’art n’est peut être, en essence, que ceci : un cri d’exultation et de rage créatrice irrévérencieuse et viscérale, doublé d’une inventivité qui refuse de se justifier face aux courants de pensée dominants.

Young Walker - Henderson
Young walker de Kelsey Henderson (2015)
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