L’art rayé

La rayure est un motif fameux en France. Très utilisée dans la mode, elle nous rappelle la mer, les plages, les vacances. Même si sa forme est simple, son histoire n’en reste pas moins longue puisque déjà au Moyen-Âge, elle était utilisée pour désigner les personnes malvenues dans un village, référence que l’on retrouve chez les bagnards, prisonniers et déportés. Mais loin d’être toujours relayée aux mauvaises parties de l’histoire, la rayure est aussi devenue un symbole d’élégance et de décontraction, d’abord en 1917 avec Coco Chanel, puis plus tard avec Jean-Paul Gaultier. Elle devient même une marque.

Ainsi, malgré une conception simple, son utilisation est récurrente. Les artistes aussi s’en sont emparés pour des raisons graphiques et identitaires.

La rayure graphique

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Manu Larcenet – Le combat ordinaire

D’un point de vue plastique, la rayure permet de créer de la texture ou des ombres sur un dessin. On la trouve dans la BD par exemple. D’ailleurs, le système de rayures apposées les unes à côté des autres, amène à celui des hachures.

 

 

 

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Sol LeWitt, Dessin quintipartite en quatre couleurs et toutes variations (droites parallèles, chaque couleur différemment orientée), 1970. Mine de plomb sur la surface d’un mur, dimension variable

Dans ce dessin proche du plan, il y a différentes hachures réalisées méticuleusement et suivant des instructions précises. Sa lecture semble se faire de gauche à droite : autrement dit, du protocole le plus simple, à celui plus complexe. En effet, les dessins sont de plus en plus élaborés et fournis, certains combinant même plusieurs rayures.

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détail Sol LeWitt, Wall Drawing #50 A, 1970. Modern Art Museum of Fort

Par la superposition, l’artiste cherche à donner de la profondeur à sa réalisation : la valeur bi-dimensionnelle est importante et revendiquée chez LeWitt, bien qu’il rejette l’exposition artistique conventionnelle, supprimant le châssis et la toile afin qu’il n’y ait plus aucun intermédiaire entre le mur et le spectateur.

Ainsi, la rayure permet de donner du volume. Malgré sa ligne droite, elle est utilisée par les artistes pour dynamiser une création, ce qu’illustre bien la photographie : jouant des contrastes lumineux, elle est déformée au contact des modèles et ainsi, elle accentue les rondeurs.

 

Alors que la surface lisse des corps, intensifiée par une lumière écrasante, semble parfaitement statique, les deux photographes apposent des ombres rayées et anguleuses sur les modèles. Les bandes apparentes sont larges et imposantes, créant une sorte de seconde peau ou de vêtement au corps nu. Sujet inanimé, ce dernier incarne ainsi un ersatz de toile que la rayure viendrait alors mouvoir.    

La rayure comme signature de l’artiste

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Les Deux Plateaux, communément appelée « colonnes de Buren », Daniel Buren et Patrick Bouchain, cour d’honneur du Palais-Royal à Paris

Sans doute Buren est-il l’artiste de la rayure, le plus connu en tout cas. Sa place dans la cour d’honneur du Palais-Royal à Paris aidant, son obsession pour elle est visible. Mais il est loin d’être le seul à en avoir fait une signature. Franck Stella, par exemple, a lui aussi travaillé ce motif de manière répétitive et protocolaire.

Hyena Stomp 1962 by Frank Stella
Hyena Stomp (La danse de la hyène) (1962), acrylique sur toile, 195,6 cm x 195,6 cm

Ce tableau révèle la qualité du peintre : contrairement à ses premières toiles dont des irrégularités dans le trait étaient visibles, Hyena Stomp présente des lignes parfaitement droites et des couleurs nettes par l’utilisation de rubans-caches. Vers les années 60, des artistes tentent de bousculer le monde de l’art. L’acrylique fait son retour mais sous diverses formes : Jackson Pollock fait du dripping une nouveauté, Andy Warhol crée des espaces de recouvrement. Il s’agit de faire sortir ce médium de son rôle conventionnel et classique. Ajouter à cela la rayure comme motif revenait à ouvrir d’autres questions techniques et plastiques.

Ainsi, Hyema Stomp s’insère dans une série dont la commune mesure est le format carré de la toile. Pour celle-ci, Stella crée une sorte de spirale de bandes, tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, débutant dans l’angle droit par du rouge. L’œil suit donc ce mouvement, jusqu’à se retrouver enfermé au centre de la toile. Jouant sur l’optique, une pyramide semble se dessiner à mesure que notre regard embrasse la peinture. Si la réalisation est simple, l’ensemble est plus riche que ce qu’il n’y paraît : aucune couleur n’est identique, onze teintes se juxtaposent, certaines s’opposent d’autres se complètent et l’intervalle entre chaque bande est constant.

Ainsi la rayure tient en elle la régularité d’un drapeau. Ce motif froid et opaque ne permet pas de projection sentimentale pour le spectateur. Mais par lui, les artistes cherchent une nouvelle manière de créer, concevoir la profondeur d’une surface bi-dimensionnelle ou tri-dimensionnelle. Les protocoles peuvent être parfois strictes : les rayures deviennent des bandes parfaitement alignées et les couleurs sont soigneusement pensées. Mais que dire devant une création purement graphique ?

Alicia Martins

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