Les artistes et le numérique

Depuis toujours, les artistes détournent les technologies et techniques de leur temps afin d’enrichir leur démarche artistique. Après avoir successivement intégré les pratiques liées à la photographie et à la vidéographie, l’art contemporain s’empare, depuis les années 1980, de celles du numérique.

Né avec le développement du très haut débit, la multiplication des smartphones, l’accroissement des capacités de stockage (Big data) et l’ouverture des données publiques (Open data), « l’art numérique » s’inscrit comme un courant artistique résolument actuel dont les possibilités d’évolution semblent sans limites. Si l’on parle désormais de « révolution numérique », en quoi les technologies et réseaux qui façonnent aujourd’hui nos sociétés modernes influencent-ils la création artistique contemporaine ?

Art numérique ?

Le terme « art numérique » apparaît avec l’invention d’un logiciel de création picturale, AARON, développé par l’artiste Harold Cohen depuis 1973. Soumis à un ensemble d’informations, le programme permet de créer de manière autonome des dessins en noir et blanc, comme le Untitled Computer Drawing (1982) aux faux airs de Miró, avant d’être adapté à la création en couleurs.

Quand la technologie numérique devient plus accessible, plusieurs artistes commencent à en faire usage tel que Richard Hamilton, précurseur du Pop-Art, qui remet au goût du jour son collage Just What Is It That Makes Today’s Homes So Different, So Appealing ? (1956) grâce au système d’exploitation Quantel PaintboxLe résultat, plus sobrement intitulé Just What Is It That Makes Today’s Homes So Different ? (1992), est assemblé à partir d’images scannées et de photographies numériques.

Just what is it that makes today's homes so different? 1992 by Richard Hamilton 1922-2011
Richard Hamilton, Just What Is It That Makes Today’s Homes So Different ? (1992)

De nos jours et avec l’essor du web, une multitude d’œuvres résulte de détournements de services Internet. Considérés comme les plus grandes bases de données photographiques, Google Street View et Google Earth sont devenus, depuis 2007, une source d’inspiration presque inépuisable pour les artistes du monde entier.

C’est le cas notamment, pour l’artiste italien Paolo Cirio, qui utilise des photos de passants capturés par les appareils de Google et les Google Street View Cars. Nommée Street Ghosts (2012), sa démarche artistique consiste à imprimer les silhouettes retenues à l’échelle 1 et à les coller à l’endroit de la ville où elles ont été prises.

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12 Cheshire Street, London – Link Street View from 2012 (à droite, capture écran d’après le service Google Street View)

Par conséquent, l’artiste renvoie les silhouettes anonymes à la réalité urbaine à laquelle elles appartenaient à l’origine.  

Du numérique dans le quotidien

Aussi, c’est parce qu’elles font désormais partie intégrante de la société que les technologies numériques ne cessent d’influencer la création artistique actuelle. De par notre utilisation quotidienne des nouvelles technologies, nous n’avons désormais aucun mal à imaginer l’artiste moderne en train de chercher son inspiration directement sur Internet ou à utiliser des applications numériques pour créer de nouvelles œuvres.

image4Passionné par le monde du cyclisme, l’artiste canadien Stephen Lund s’est fait connaître en 2015 pour avoir réalisé des tracés spectaculaires en pédalant selon des lignes d’un itinéraire pré-planifié sur son GPS (application STRAVA).  

Toutefois, les artistes qui s’emparent des technologies actuelles se focalisent également sur les problématiques qui leurs sont contemporaines. En effet, s’il est un domaine dont la profonde mutation n’est que la conséquence d’un usage intempestif du numérique, c’est bien celui des relations humainesDe 1997 à 2001, diverses plates formes de réseaux sociaux à destination des communautés commencèrent à permettre des combinaisons variées de profils et la publication de réseaux d’amis. Le musicien Alex Gopher, a notamment exploité la complexité de ces relations virtuelles à travers le court-métrage vidéo The Child (1998-1999).

Ici, l’Être humain et son environnement sont structurés uniquement par le langage. De la même manière, le réseau internet constitue une nouvelle forme de communication, la personne humaine s’effaçant derrière un écran.

L’artiste et designer An Xiao Mina se penche sur l’impact des nouvelles technologies de communication, en particulier les médias mobiles et sociaux, consciente que le numérique continue d’augmenter, modifiant notre mode de vie. En 2011, l’artiste imagine The Artist is kind of present, une performance où elle-même est assise au milieu d’une pièce du New York Zen Center, en invitant les visiteurs à échanger avec elle uniquement par message texto ou twitter et ce, dans le plus grand silence.

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The Artist is kind of present, An Xiao Mina (à gauche), New York Zen Center, 2011

Ainsi, An Xiao Mina interrogeait la nature même des relations sociales à l’ère des réseaux sociaux et l’interférence que ceux-ci représentent dans nos rapports humains.

Les nouvelles possibilités de création

Mais si les artistes s’emparent aujourd’hui des technologies numériques, c’est surtout parce que ces dernières n’ont pas fini d’évoluer et de surprendre au travers de l’émergence de nouveaux outilsGrâce au numérique, l’artiste américain Evan Roth est parvenu à matérialiser l’invisibilité du mouvement effectué par les artistes « graffeurs ». 

Amorcé en 2004 et intitulé Graffiti Analysis, le projet continu d’être développé, générant la visualisation (logiciels personnalisés), la matérialisation (imprimante 3D) et l’exposition des gestes créateurs.
Au-delà du numérique, comment ne pas citer les technologies bio ou nano qui sont, elles aussi, le résultat de la puissance de calcul des machines ? Artistes et chercheurs reconnus au niveau international, Laurent Mignonneau et Christa Sommerer sont des pionniers de l’art interactif, notamment avec leur présentation de Nano-scape, en 2001.

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Nano-scape, 2001

Invisible car réalisée à l’échelle nanoscopique, la sculpture est reliée à une interface de force magnétique sans fils permettant aux visiteurs de toucher les nanoparticules et d’en modifier la structure au fur et à mesure des différentes interactions.
Ainsi, on peut expliquer l’engouement croissant des artistes pour les technologies numériques dans la mesure où celles-ci offrent des possibilités de créations et d’interprétations sans limites.

Toutefois, si les nouvelles technologies influencent clairement l’art contemporain, on constate une évolution ambiguë du statut de l’artisteFace à la complexité des programmes qu’il doit désormais créer, l’artiste acquiert une démarche proche de celle des scientifiques ou des développeurs informatiques.
L’essor de la robotique permet maintenant de concevoir des automates et des logiciels autonomes, pourvus d’une certaine intelligence artificielle et capable d’entreprendre un processus créateur défini. A ce titre, on peut se demander quel rôle tient encore l’artiste dans l’élaboration d’une œuvre voire même, se poser la question : qui est le véritable artiste ?

Néanmoins, si le statut de l’artiste 2.0 reste controversé, les multiples évolutions du numérique tentent à valider l’hypothèse selon laquelle tout progrès scientifique peut devenir une œuvre si l’on associe l’art à la science et aux nouvelles technologies.

Marion Spataro

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