Le pont Mathilde construit au XIIe siècle par l’Emperesse du même nom, petite-fille de Guillaume le Conquérant, la Tour Jeanne d’Arc, des maisons à pans de bois, des églises en pierre, une cathédrale, des quais de seine… A Rouen tous les bâtiments, modernes comme anciens, sont traversés par l’art et représentent une parcelle de l’Histoire.
Une architecture fine et lumineuse

En 1415 Henri V, roi d’Angleterre, débarque en Normandie. La ville de Rouen s’organise pour faire face à l’envahisseur. Les anglais affament les rouennais qui sont abandonnés par le roi de France. Les anglais finissent par avoir raison de leurs résistants. Les maisons à colombages (1) fleurissent dans les rues et les prouesses techniques d’une architecture gothique laissent entrevoir que les églises et les palais seront empreints, malgré tout et pourquoi pas, de géométries anglaises. C’est une leçon que l’art nous offre, en bas de chez nous se trouve probablement une partie d’un autre, un style d’ailleurs qui vient enrichir notre quotidien. Même si l’art gothique est venu supplanter l’art roman, ce dernier est bien vivant et d’inspirations multiples (byzantine, orientale ou celtique par exemple), ce qui nous conforte dans l’idée que les paysages urbains français ont été modelés et traversés par de nombreux groupes et civilisations.

L’architecture gothique n’est pas faite pour être sombre et comme l’a montré Claude Monet en peignant la cathédrale de Rouen, la lumière dépend de la prise de vue. Le vitrail, lui, est fait pour « glorifier la lumière » (Elie Faure). L’immensité des édifices religieux de style gothique n’est pas contradictoire avec la finesse et l’élégance. Un vent gothique souffle sur la ville de Rouen, nous sentons encore la chaleur du bûcher de Jeanne d’Arc en 1431, la famine et la pauvreté engendrées par la guerre de Cent Ans. L’art a toujours résisté au temps, aux guerres et aux changements. Et pour le comprendre, il faut observer avec attention les détails qui constituent une œuvre. Vous verrez les croisées d’ogives, les arcs-boutants et les vitraux sur lesquels on distingue de belles rosaces. A l’origine, les cathédrales gothiques étaient construites afin de laisser passer beaucoup de lumière pour rappeler l’ « illumination divine ». Sur les vitraux sont représentés des scènes bibliques ou la vie des saints. De temps à autre on aperçoit la vie quotidienne des fidèles, la représentation catéchistique des images sonne comme une messe silencieuse.
Yadegar Asisi et l’histoire passée
Au Panorama XXL de Rouen nous avons découvert un artiste qui, à travers l’ « art du panorama », permet de montrer le gothique sous une forme imagée à base de dessins, d’esquisses et de numérique (exposition Rouen 1431).

Du panorama (art issu de la peinture circulaire créée en 1792) au numérique, Yadegar Asisi a réécrit, fidèlement, l’histoire de Rouen avec son point de vue de la tour du Beurre qui, ironie du sort, n’existait pas en 1431. Son art basé sur la photographie, la peinture et l’imagerie numérique, repose avant tout sur son sens de l’observation. Et c’est en arpentant les rues de Rouen qu’il y trouvera un intérêt majeur à tracer une ligne directrice qu’est l’art gothique. Ensuite le détail apparaît comme une évidence au regard de ses premières esquisses exposées au Panorama XXL. Son goût de l’observation lui a permis d’aller plus loin dans la précision de ses représentations. En reconstituant la vie moyenâgeuse des rouennais, il montre qu’avec un mélange de techniques aussi bien modernes qu’ancestrales on peut ressentir le passé dans la modernité. L’art a cette faculté de réécrire en permanence l’histoire mais avec une touche de savoir-faire contemporain. Et si Yadegar Asisi a voulu se rapprocher du réel, c’est probablement parce que son œuvre est réalisée de manière « hyperréaliste » selon lui. Presque comme une maquette géante, un projet urbain, une vue sur la nature et l’immensité du cercle vertueux du Panorama de Rouen. Les lumières et la musique nous font entrer dans un univers esthétique qui plaira même aux médiévistes contrariés par la modernité.

Bien sûr il ne suffit pas de regarder une exposition, si belle soit elle, pour comprendre la relation qu’entretient Rouen avec l’art gothique. Il faut marcher, et oui ! S’engouffrer dans les rues sinueuses, sur les pavés et souvent lever la tête à en souffrir de torticolis…La particularité du « gothique » réside également dans la verticalité et la grandeur des structures. Les arcs-boutants permettent cette hauteur presque titanesque et vont révolutionner l’architecture en général. A côté de l’hôtel de ville, l’abbaye Saint-Ouen est un bel exemple d’architecture gothique bien que s’appuyant sur l’ancienne église romane, toutes les caractéristiques se croisent ; Rosaces, verticalité des structures, les ogives soutenant les voûtes etc. L’obscurité ne représente pas le gothique, bien au contraire, c’est la lumière qui est recherchée. Le message originel de l’« artisan gothique » était de conquérir cette lumière. L’architecture à Rouen, qu’elle soit gothique ou non, empreinte de style anglais ou roman, illustre parfaitement ce que l’histoire doit à l’art, c’est-à-dire un moyen de transmettre des émotions, la vie d’une époque, l’ambiance par la couleur, les ambitions par l’immensité, les prouesses techniques par l’ingéniosité et une partie de nous.
- Mur en charpente où les vides sont remplis par une maçonnerie en pierre
Olivier Muller-Benouaddah