De Monet à Soulages, brève histoire de la couleur en peinture moderne

Au tout début du XXème siècle, Monet n’utilise presque pas de noir. Il combine diverses couleurs pour obtenir une apparente noirceur. Moins d’un siècle plus tard, Soulages fonde son œuvre entière sur le travail de cette unique couleur. Que s’est-il passé entre ces deux artistes ?

L’Impressionnisme se caractérise par l’utilisation de la couleur qui doit à elle seule « dessiner le motif sans recours à la ligne ».  C’est l’époque où les peintres commencent à délaisser leur atelier pour peindre à l’extérieur, à la recherche de la lumière naturelle. Ils sont aidés en cela par l’apparition de la peinture en tube. Les progrès scientifiques permettent aux artistes de diversifier leur palette et ils travaillent désormais la peinture en touches. Monet est le premier à peindre des séries où l’on observe un même paysage ou un même thème changer selon l’heure du jour ou la saison. La couleur évoque alors presque plus une sensation qu’une réalité. Bonnard dira d’ailleurs : « la sensation amène aux tons ».

Seurat à l’inverse ne peint plus en plein air. Il croque ce qu’il voit à l’extérieur mais l’art pictural à proprement parler se déroule à nouveau à l’atelier. Il ne mélange plus les couleurs sur la palette mais les juxtapose sur la toile avec exactitude et régularité, conformément à l’analyse scientifique de la lumière telle qu’elle est formulée dans la théorie des contrastes simultanés. Le mélange optique des couleurs se produit alors dans l’œil du spectateur, qui ne peut presque plus contempler le tableau de près.

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Henri Matisse, L’Algérienne, 1909, huile sur toile, 81 x 65 cm, © Succession H. Matisse

Petit à petit la couleur prend le pas sur le dessin sous l’impulsion de Gauguin, Cezanne ou Van Gogh. Ils explorent de nouveaux territoires à la recherche d’autres modes de représentation de l’espace, de la lumière et un nouvel usage de la couleur. Les aplats, surfaces de peinture posées en touches épaisses et larges de couleur pure,  dessinent directement la forme. On appelle désormais Fauves ces peintres qui utilisent la couleur de manière spontanée, presque sauvage. La couleur est libérée de son rôle d’imitation et permet au peintre d’affirmer son regard sur le monde pour obtenir des réactions du spectateur.

Les œuvres du Fauvisme ouvrent la porte à une abstraction de l’image de plus en plus marquée jusqu’à aboutir à l’Art abstrait. Matisse déjà utilise des couleurs arbitraires et les teintes pures de ses œuvres vont progressivement laisser la place chez d’autres à moins de nuances jusqu’à parfois se résumer aux trois couleurs primaires. De nombreux artistes vont poursuivre les questionnements ouverts au-sujet de la couleur et aller jusqu’à la création de peinture en monochrome comme Malevitch ou Klein.  En 1983 ce dernier déclare : «  Jamais par la ligne, on n’a pu créer dans la peinture, une quatrième, une cinquième ou une quelconque autre dimension ; seule la couleur peut tenter de réussir cet exploit ». La couleur devient donc le sujet lui-même des œuvres et le thème privilégié des recherches des artistes. Klein dépose le brevet de son célèbre Bleu en 1960, inspiré par les cieux de Giotto  lors d’un voyage à Assises. D’autres peintres travaillent sur l’essence même de la couleur, chacun à sa manière, de façon très sensible comme Rothko par-exemple, ou de manière plus scientifique comme les artistes de l’Op Art.

La couleur, sujet et non plus outil des œuvres, appelle et interpelle le spectateur. « Quand la lumière s’y reflète, il la transforme, la transmute. [Le noir] ouvre un champ mental qui lui est propre » affirme Soulages en 2002. « C’est une couleur qui ne transige pas. Une couleur violente mais qui incite pourtant à l’intériorisation ».

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Pierre Soulages, Peinture, 9 mars 2014 Acrylique sur toile, 57 × 81 cm © Pierre Soulages, Photo : Vincent Cunillère, Courtesy Galerie Karsten Greve

L’art n’est désormais plus à la recherche du beau ou de l’imitation de la nature. Il inclut l’artiste, le spectateur et l’œuvre elle-même dans un processus de dialogue. La couleur, forcément subjective, a des effets psychologiques et des significations symboliques (différentes selon les cultures), et est utilisée au XXème siècle pour ses qualités propres. Elle s’expose enfin à l’état brut, par l’intermédiaire des pigments, devient sculpture, œuvre et espace.

Anne Hory Forest

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