L’art arabo-musulman entretient un rapport particulier à l’ « image ». La représentation de son prophète est proscrite, et pendant des siècles celle des êtres vivants l’était également. Exprimer la transcendance par l’intermédiaire des arts de l’image paraît donc extrêmement compliqué. Si l’idolâtrie chez les premiers musulmans n’est pas appréciée, l’expression artistique des grandes figures du Coran ainsi que le « message », peuvent se manifester sous d’autres formes comme la calligraphie. En revanche, il est tout à fait inimaginable de représenter Dieu dans l’Islam car il est « insaisissable par essence »(1). Selon les courants et les interprétations, on accepte plus ou moins que les arts plastiques, la peinture et les autres moyens artistiques expriment la réalité de l’époque.
Calligraphie et architecture, expression et création
La calligraphie a été longtemps un moyen d’expression et d’expansion de l’Islam. Elle a été conçue pour instaurer l’unité dans le monde musulman. Elle a également permis de détourner les interdictions liées aux images. Signifiant art de bien former les caractères d’écriture, la calligraphie est par excellence le prolongement de l’oralité. Elle se substitue à la parole pour faire apparaître la beauté de l’art de la forme. Des débuts, initiés par Ibn Muqla (mort en 940), vizir de Bagdad à Hassan Massoudy, calligraphe irakien, le passé et le présent s’entremêlent pour en arriver à des œuvres modernes chargées de sens. Mots de poètes et phrases d’écrivains emprunts de sagesse, alliant modernité et tradition, ses œuvres prennent leur sens, de manière ambivalente, dans la rupture et à la fois la proximité avec le monde arabo-musulman. Sous un roseau taillé en biseau, le calligraphe se donne à sa passion entre dynamisme et harmonie des formes. L’équilibre, qui est à la base de cet art, se transcende pour rendre moderne une tradition scripturale du religieux. Il n’est nul besoin de comprendre le message, la langue ou l’essence religieuse bien qu’ils soient intrinsèquement liés. L’important se trouve dans un autre message qu’Hassan Massoudy nous offre : les liens artistiques entre l’Orient et l’Occident.

L’art arabo-musulman n’exclut pas la démarche individuelle d’un artiste mais il ne l’approuve pas particulièrement non plus. Le message d’unicité et sa transmission sont préconisés par les textes religieux. Les artistes peuvent s’en détacher mais ne peuvent l’ignorer. Se pose alors la question de l’autonomie de l’art par rapport aux religions, peu importe l’obédience. Pourtant cela n’a pas empêché les œuvres de vivre et de rayonner dans le monde entier. Le message est donc passé, le rayonnement artistique a permis aux religions de s’étendre et de s’épanouir à travers des œuvres somptueuses et parfois monumentales. L’architecture n’est-elle pas l’art de montrer la puissance d’une nation, d’une culture, d’une religion, d’un peuple tel que les romains l’ont envisagé avec l’Église Saint Jean de Latran ? Mais chaque religion possède sa propre topographie. Ainsi la splendeur de La Grande Mosquée de Cordoue nous a fait oublier un temps les ambitions temporelles du royaume musulman d’Al-Andalus. Les colonnes et les arcades se succèdent avec une rigueur d’espacement et une alternance de couleurs méditerranéennes. L’œil étincelant par cette grandeur et cette magnificence fait apparaître une lueur d’espoir et d’altérité dans un lieu de l’histoire de l’humanité qui dépasse aujourd’hui les carcans religieux. À l’origine les plans des mosquées avaient été conçus à l’image de la maison du Prophète à Médine, lieux de prière par excellence. Elles revêtent également aujourd’hui une fonction sociale de lien de solidarité, de connaissances et de cultures.

Entre modernité et interdits
Aujourd’hui, à l’heure du numérique, il est difficile d’éviter toutes représentations. En effet les photos, le cinéma, Internet et la télévision sont autant de supports qui se sont installés dans notre quotidien. Face à cette déferlante, l’Islam ne peut pas maîtriser toutes les images qui montrent les personnages importants de son histoire. Le caractère fonctionnel et utilitaire des œuvres artistiques musulmanes (tout comme dans le christianisme et le judaïsme) ne fait aucun doute. Mais avec le temps, les nouvelles technologies et la libération des mœurs ont permis aux artistes de se distancer des préceptes des religions. L’époque moderne a vu les croyances submergées par les images, prises dans un flot de représentations de leur propre religion et des figures sacrées de leurs textes. L’art fait souffler un vent de liberté sur notre société. Du néo-impressionnisme au surréalisme, de l’Egypte à l’Irak, les artistes arabo-musulmans ont détourné les interdits rigoristes depuis des siècles, notamment à partir des arts décoratifs. De nos jours, le compromis est délicat entre la subversion et les règles religieuses. Mais l’art islamique a apporté à de nombreux artistes de la subtilité et de la délicatesse. Ainsi Lalla Essaydi, artiste photographe marocaine, a montré toutes les finesses du portrait féminin recouvert de calligraphies au henné. Là encore, tradition et modernité se mêlent afin de nous permettre de comprendre que ces deux concepts ne sont pas antinomiques selon l’angle d’analyse. Le sociétal, c’est-à-dire ce qui structure la société et son organisation, est bien présent dans les œuvres d’Essaydi. En effet, à travers ses œuvres nous voyons la pluralité de l’être social au sein d’un même groupe ; la liberté, les croyances ou non, la culture, le droit de créer, le langage, et beaucoup d’autres aspects qui font d’un individu ce qu’il est.

(1) Oleg Grabar, Le Point Hors-Série Les maîtres penseurs, juin-juillet 2010.
Olivier Muller-Benouaddah
[…] avions vu dans l’article les motifs dans l’art : l’islam, que l’architecture est un moyen d’expansion mais également un moyen d’expression. Dans les […]
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vous êtes génial une analyse raisonnée pertinente sans jugement elle relève de l’esprit profond de l’art du respect de la différence dans les itinéraires de chaque contrée et peuple de l’appropriation d’autres espaces conception et sens des autre bravo et merci du détachement tout autant que l’implication que relève du vrais sens artistique et partant du respect des libertés …………
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