Il suffit d’un regard sur ce tableau pour reconnaître le type de scène que nous présente le peintre. Nous nous trouvons entre 1878 et 1879, face à un instant de vie que l’on connaît tous plus ou moins et qui existe aujourd’hui encore : la prise en photographie d’un couple de jeunes épousés. Mais le peintre nous montre-t-il seulement un instantané tiré du quotidien de ces mariés du XIXe siècle ?

Les mariés et leur entourage
Toutes les lignes du tableau font d’abord converger notre regard vers ceux qui sont au centre de l’attention. La présence de la verrière met aussi le couple en valeur, puisqu’il s’agit de l’unique source lumineuse dans l’image, placée au dessus d’eux. Ils sont aussi les seuls à nous faire face et à se détacher des autres personnages. En les observant, on est bien renseignés sur les coutumes liées au mariage à ce moment là. Au bras d’un marié élégant, la mariée est vêtue de blanc, ce qui n’était pas encore aussi courant qu’aujourd’hui. Dans les campagnes françaises, les tenues de couleur ont d’ailleurs encore largement été de mise jusqu’au début du XXe siècle. Il semble donc qu’il s’agisse d’un couple qui connait les modes en vogue dans la capitale, comme le confirme la présence de fleurs en couronne et sur sa robe.
Aux pieds de la jeune femme se trouve un personnage plus difficile à identifier. Cette dernière rectifie les plis de la robe pour la photographie, et pourrait être la mère de la mariée. Sa tenue est beaucoup plus simple, comme pour la majorité de l’entourage du couple présent, mais elle porte au doigt un bijoux qui semble précieux. De même, elle est installée sur un fauteuil, ce qui atteste sa position.
Sur la gauche, la famille est représentée comme un groupe compact en pleine discussion. Ils forment une entité, marquée par la présence d’un homme qui nous tourne le dos, assis sur un fauteuil. Il pourrait s’agir du père d’un des mariés, entourant le jeune couple avec la mère. Leur présence encadrante et attentive signifie peut-être qu’il s’agit d’un mariage arrangé : cette pratique était encore très courante, notamment dans la bourgeoisie. On remarque d’ailleurs l’air presque absent du marié, qui pourrait accentuer cette idée.
Une scène de genre déguisée

De ce point de vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’une critique du mariage. Mais cela paraîtrait étonnant, puisque le peintre était lui-même fiancé à une femme qu’il aimait au moment où il a peint ce tableau. Très attaché aux traditions religieuses, il a d’ailleurs aussi représenté l’aspect sacré du mariage peu après (ici à gauche). C’est donc plutôt une scène de genre qu’il faut reconnaître ici : au moment de sa présentation au Salon de 1879, ce tableau a justement été taxé de « comique » par ses contemporains(1).
Certains détails moquent gentiment le mariage et la scène à laquelle on assiste. On constate d’abord que le couple se trouve sur une estrade, entouré de nombreux rideaux. A cela s’ajoute la présence de différents décors dans le fond, qui donnent l’impression qu’ils se trouvent métaphoriquement dans le « théâtre » de la vie de couple, dans lequel chacun joue un rôle. On remarque aussi la présence de ce qui semble être une huître ouverte sur la commode qui se trouve sur la gauche. Il semble étrange de la trouver ici, mais il faut se souvenir qu’elle représente d’abord le sexe féminin en peinture. S’agit-il d’un sous-entendu lié à la virginité de la mariée ? En tout cas, l’huître est aussi un symbole de vanité : son aspect périssable peut dont être vu comme un rappel de la fragilité du mariage. Le peintre a tout de même également fait figurer deux livres, de chaque côté du mollusque. Ils sont peut-être là pour rappeler la bible et le sérieux de cet engagement.

Si on regarde attentivement la composition, on peut justement retrouver cette ambivalence et diviser la scène en deux parties. On repère d’abord ce qui se trouve devant le photographe, à savoir la famille qui entoure les mariés. Derrière lui et sur les côtés de la pièce, les éléments rappellent parfaitement le fonctionnement de la scène de genre. Au delà du détail de l’huître, une petite fille regarde dans notre direction, l’air ennuyé par cet événement. Mais surtout en bas à droite, on assiste au tourment d’un petit garçon par un homme qui lui souffle de la fumée sur le visage.
On est donc sortis de l’aspect solennel de l’engagement, pour assister à un instantané plus réaliste. Les mariés mis à part, les personnages ne posent pas. C’est donc aussi une scène courante que le peintre a souhaité représenter. Mais dans ce cas, pourquoi la figurer dans un atelier de photographe ?
Peinture versus photographie
Le premier élément de réponse tient au caractère naturaliste de cette toile. A la manière d’Émile Zola dans les Rougon-Macquart, l’artiste ancre cette image dans son temps et nous raconte la réalité de la vie de ces personnages. La photographie est une invention de ce siècle, et était très à la mode à ce moment là. En nous montrant les mariés dans un studio de photographie, il nous renseigne aussi sur leurs moyens financiers, puisque cette pratique était encore loin d’être accessible à tous.
Mais surtout, il faut se rappeler de la concurrence qui était née entre peinture et photographie. Car comment rivaliser avec un mode d’enregistrement plus rapide, fidèle à la réalité, et moins cher ? L’artiste répond à cette question dans ce tableau. On remarque que le photographe devient anonyme et réduit à sa fonction : il n’est là que pour enregistrer la scène. Sa position dans la pièce montre bien qu’il ne témoignera que d’une partie de ce qu’on voit. Le peintre lui, l’englobe dans son ensemble. En plus de faire figurer tous les personnages présents, il choisit de représenter un instant très précis, comme s’il avait capturé l’action en une seconde. Cela non plus, l’appareil photographique n’était pas encore capable de le faire, puisqu’un long temps de pose était encore nécessaire. Les images étaient également bien moins détaillées qu’aujourd’hui.

Il concurrence donc clairement cette technologie en proposant un foisonnement de détails, ce qui l’ancre encore dans le naturalisme. C’est un studio de photographie réaliste qu’il nous propose : parquet abîmé, verrière aux rideaux régis par un système de cordages minutieusement reproduit, et même pancarte précisant aux clients de bien effectuer un dépôt en posant.
L’exécution des tenues, des accessoires des personnages et de toutes les matières présentes est tout aussi précisément exécuté. On sait d’ailleurs qu’il avait passé du temps dans un studio de photographie pour être le plus réaliste et exact possible dans son travail. C’est finalement par son travail des couleurs qu’il assène le coup de grâce à la photographie. Il propose au spectateur une grande variété de coloris, travaillés tant dans le décor que sur les tenues des personnages. Face à cela, un cliché en noir et blanc faisait difficilement le poids.
Avec cette toile, Dagnan-Bouveret nous montre donc bien plus que de simples « noces chez un photographe ». On peut d’abord y voir une critique amusante et discrète de la petite bourgeoisie parisienne, qui suivait les modes de la capitale. Mais finalement, c’est surtout une mise au défi de la technique photographique que le peintre nous propose, posant la question cruciale de la concurrence entre peinture et photographie au XIXe siècle.
1 Notamment dans L’art moderne d’Huysmans en 1883.
Je suis venu à cet article en recherchant ce tableau que Isabelle Huppert mentionne dans Eva, film de Benoît Jacot
Par ailleurs étude intéressante.
J’aimeJ’aime
[…] accordera à certains plus de potentiel psychologique qu’à d’autres. Pour illustrer cela, un chien dans un tableau symbolisera la fidélité, l’huître la virginité, le lion la force. La faune intervient donc comme une caution valorisante de l’humain, devenant […]
J’aimeJ’aime