Pour briser la glace je vous propose l’installation Aerial réalisée dans l’Abbaye de Brauweiler à Pulheim en Allemagne en 2012. L’artiste Baptiste Debombourg propose un travail de plasticien des plus intéressant. Aerial déconstruit l’espace, joue avec les matériaux, bouleverse les dynamiques, explose les frontières pour finalement s’arrêter net. Une claque visuelle figée dans son mouvement au cœur de la paisible Abbaye de Brauweiler. L’édifice qui accueille ce fracas est un ancien monastère bénédictin de l’ouest de Cologne.

Né en 1978 dans le sud de la France, Baptiste Debombourg a fait l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon, puis l’Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris où il s’est spécialisé dans l’apprentissage de la Sculpture. À présent il travaille principalement à Paris. Son oeuvre et plus particulièrement Aerial empruntent à la sculpture cette conscience de la forme, de l’espace, de la matière, et du lieu par essence en lien étroit les uns avec les autres. Les thématiques qui préoccupent le plus l’artiste sont liées à la société occidentale et surtout à la société de consommation (par le ready-made) ; la déconstruction ou la déformation ; la perception.

En ce qui concerne Aerial, le visiteur est touché par le traitement de la matière, par son développement, son évolution, dans et par l’espace. Il s’agit d’une oeuvre à l’échelle du monument qui l’accueille. Le spectateur déambule entre les colonnes dans une vaste salle dépourvue d’ornements. Seules les immenses baies vitrées viennent réchauffer et animer le marbre de leurs halos de lumière. Et c’est spécifiquement cela qui va intéresser l’artiste.
Il va ainsi réaliser tout une installation autour de ces ouvertures, en reprenant les matériaux qui la composent, le bois et le verre.
L’utilisation du matériau « verre » est passionnante, et récurrente chez cet artiste. L’on peut citer l’installation Champ d’accélération (à La maison rouge, Fondation Antoine de Galbert, Paris, 2015) qui fait indéniablement écho à Aerial. Mentionnons également Matière Noire (La Chaufferie, Galerie de la Hear, à Strasbourg, 2015), ou Crystal Palace (en milieu urbain, 2008). Le verre utilisé par l’artiste est feuilleté, il est un assemblage de plusieurs fines couches de verre. Ainsi il devient un matériau très résistant, qui n’éclate pas. On l’utilise dans un souci de sécurité, en particulier pour les pare-brises de voiture (Sans titre avec seau, Galerie Patricia Dorfmann-Paris, 2010).
Dans Aerial, Baptiste Debombourg déconstruit la forme initiale de la baie, la projetant à l’intérieur de l’Abbaye, adroite métaphore des faisceaux lumineux du soleil. Les fenêtres sont accidentées, et les lamelles de bois peint viennent discrètement aider le fond à se détacher de la forme. Cela engendre un mouvement presque brutal, intrusif. Le verre éclaté tisse une toile jusqu’au sol. Trois étapes dans la déformation et la déconstruction de la forme sont à relever. Le visiteur, de haut en bas, a d’abord l’impression d’un déploiement, les carreaux, le verre se décollent du mur. Puis la forme s’étale dans la salle, pour finir par inonder le sol.

La transformation a abouti. Si l’on comparait cela à un verre d’eau renversé, on pourrait dire que le contenant a remplacé le contenu. Le verre infiltre la pierre comme de l’eau, et se cristallise à bout de souffle au milieu de la pièce.
Par conséquent, cette oeuvre est par certains aspects « poésie » et par d’autres « science ». Elle est presque un défi architectural. L’installation révèle des dynamiques, des sensations de prime abord impalpables. L’artiste détruit une composition pérenne. Il permet sous un voile de verre à l’air de s’insinuer dans un espace clos, ainsi que nous le confirme l’emploi du terme « Aerial ». L’ensemble des éléments atmosphériques et matériels, des différents espaces, et de leurs perceptions est étudié, puis réorganisé. Debombourg nous oblige à observer, à analyser, à contempler, mais surtout à questionner un environnement devenu trop ordinaire ou toujours resté endormi.
« Oui, l’œuvre sort plus belle
D’une forme au travailRebelle,
Vers, marbre, onyx, émail. »Théophile Gautier, extrait du poème L’Art, issue du recueil Emaux et Camées, 1811-1872.