[ANALYSE] Portrait-robot d’Yves Klein, Arman

Le genre du portrait connaît des trajectoires variées, selon l’intention que le modèle et le portraitiste y installent. Son utilité peut-être politique, sociale, il peut servir de souvenir, d’héritage, à la propagande, ect. La personne peut y être représentée de plein pied, en buste, de trois quarts ou de face, heureuse, conquérante ou triste. La forme du tableau est traditionnellement rectangulaire mais elle peut être carrée ou ovale.

Le portrait objet :

La création qui nous intéresse aujourd’hui, Portait robot d’Yves Klein réalisée par Arman, transgresse les normes ci-dessus pour en inventer de nouvelles, liées à un contexte social et à un mouvement artistique particuliers.

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Arman, Portrait-robot d’Yves Klein, 1960. Crédit : ArmanStudio

Réalisée dans les années 60, cette sculpture s’inscrit dans une ère capitaliste revigorée, une industrie toujours plus florissante et une consommation débordante.

Exemple d’accumulation : Arman, Home sweet home, 1960

Percevant l’enfermement matérialiste de la société, des personnes se sont élevées contre ce phénomène en faisant de l’objet manufacturé une œuvre. Réunis sous le nom de Nouveau Réalistes, et menés par André Breton, de fameux artistes travaillèrent à un « renouvellement » de l’art, quasi social. On comptait parmi eux Yves Klein, Robert Filliou, Daniel Spoerri et Arman. Ce dernier, celui qui nous intéresse ici, (1928-2005) artiste franco-américain, est connu pour ses accumulations.

Depuis Marcel Duchamp, un grand nombre d’artiste se revendiquait de ses pensées et du ready-made. Considérant qu’il avait aboli les dernières frontières de l’art, en disant que tout était art dès lors que l’artiste le décidait, le renouvellement semblait difficile. Pour les Nouveaux Réalistes, ces conceptions étaient, en tout cas, partagées. Dans le Portrait robot d’Yves Klein, l’objet n’est même plus détourné (bien qu’inutilisable) et est montré tel quel, instaurant comme trame de fond le sujet de l’ère industrielle.

L’identité/les ressemblances :

Le portrait robot est d’abord, selon sa première définition, un outil judiciaire rassemblant des données physionomiques à propos d’une personne recherchée par la police. Normalement, il fait état d’une prospection initiale. Par extension, et de manière plus figurée, cette expression est utilisée pour qualifier une personne bien ancrée dans son temps. La sculpture d’Arman tient un peu des deux définitions : c’est par l’association des images aux objets, que ces derniers font sens. Comme si chacun d’eux était un trait physique ou intellectuel de Klein, dont notre intuition nous donnerait une lecture.

Ce tableau donne l’impression d’un coffre intime qu’on ouvrirait des années plus tard après sa confection et qui nous rappellerait qui nous avons été. Ainsi, nous y trouvons ce qui fait Yves Klein l’artiste : le bleu dont il cherchait la profondeur du vide, le kimono se rapportant sans doute aux théories du zen et à la pratique d’art martiale, La Terre et les rêveries de Gaston Bachelard, une photographie de l’artiste lui-même.

Le tableau poubelle :

« En réalité, je répète toujours le même acte de conservation : je montre la condition de la catastrophe »

Arman

Arman est aussi connu pour avoir crée des sculptures issues des restes des consommateurs.

Petits Déchets Bourgeois, 1959. Crédit : Arman Studio

Dans ce travail, il rassemble tout ce qui traîne et montre les résidus de la société capitaliste. Tout comme Spoerri qui faisait de ses Tableaux-pièges des objets anthropologiques, les déchets d’Arman deviennent une sorte de relique. En ce sens, il s’agit bien de montrer des objets.

Mais il serait insuffisant de voir le portrait-robot de Klein comme unique critique matérialiste puisque ce travail semble lui échapper dès lors qu’il prend la valeur d’un portrait et donc celle de l’identité. En effet, comme si la seule enveloppe charnelle ne suffisait pas à raconter une personne, Arman nous montre ce qui compose la personnalité de Klein. Ainsi, l’objet transcende l’objet : Arman ne se rapporte plus à son utilité matérielle mais à sa valeur sentimentale voir conceptuelle. Et en ce sens, il échouerait à nous montrer uniquement des objets.

Si, comme Alain Badiou le disait, la force d’un bon portrait c’est quand « on reconnaît en soi-même ce qu’on ne connaît pas », le Portrait-robot d’Yves Klein montre un condensé de la personnalité de Klein, vu de l’extérieur.

Alicia Martins

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