L’actualité en ce moment, c’est aussi la rentrée. Eh oui, septembre marque définitivement le retour au charbon, la farniente est finie! Si c’est une bonne nouvelle pour certains, c’est peut être une source d’angoisse pour d’autres. Alors, pour apaiser tout cela, nous vous proposons un petit retour pictural sur les manières dont les leçons sont représentées par les artistes.
L’histoire de l’art fait sa rentrée
A priori, ce thème peut sembler rébarbatif et pas forcément des plus passionnants. En effet, qu’est-ce qu’une leçon, sinon un professeur qui explique à un ou plusieurs élèves une certaine chose, assis à un bureau ? Le potentiel de l’action est limité. Pourtant, il devient le sujet idéal pour diverses raisons. S’il existe des centaines de “Leçons” dans l’art, certaines sont plus complexes que les autres.
La composition d’une leçon demande, de fait, des détails contextuels précis afin que le regardeur puisse identifier d’un coup d’oeil le thème général du tableau. Tout d’abord, il faut une pièce, ou un espace qui s’apparente à une salle de cours. Comme par exemple dans La Leçon de danse (1879) d’Edgar Degas.

Ici, la présence du professeur n’est pas nécessaire afin de comprendre que c’est une leçon : le parquet au sol, les jeunes filles qui examinent leur tenue, la barre fixée au mur au fond à droite. Les éléments architecturaux ou décoratifs n’ont pas besoin d’être nombreux pour nous suggérer l’espace dans lequel nous sommes. Degas se contente de peindre deux fenêtres voilées de blanc et d’un cadre.
Le deuxième élément est le prétexte de la leçon : un cours de danse, de musique, de peinture. Pour cela, les artistes choisissent un élément visuellement fort, que le regardeur pourra identifier sans difficultés. Pour la Leçon de danse, il a suffit à Degas de peindre des ballerines vêtues de tutu et un instrument de musique au premier plan.
Le dernier élément, sans doute le plus important, sans quoi le sujet n’existerait pas, est la représentation du professeur et de l’élève. L’essentiel n’est pas de figurer deux personnes mais d’introduire le lien qui les unit. Pour ce faire, il ne faut pas que les statuts de l’un comme de l’autre, soient ambivalents pour le regardeur. Ainsi, le maître est souvent reconnaissable à sa posture dominante, comme dans La leçon de musique interrompue de Vermeer.

Le professeur, d’une carrure imposante, est debout, penché sur son élève. Cette manière de le représenter est une sorte de positionnement hiérarchique, signifiant qu’il est celui qui détient le savoir. L’autre élément qui permet de le distinguer dans un groupe, est l’apparat. Par exemple, dans La Leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt (voir plus bas), le savant porte un chapeau, une cape, un col plat et des manchettes blanches, tandis que les élèves ont le coup entouré par une collerette volumineuse. Cette tenue atteste tout autant de sa richesse que de son statut, puisqu’on sait qu’elle était à la mode à cette époque.
Mais dans l’histoire de l’art, les leçons ne sont pas toutes de simples représentations de cours dispensés par un professeur… Beaucoup d’entre elles cachent effectivement bien plus. Pour mieux vous révéler les secrets de ces tableaux, nous avons choisi plusieurs exemples représentant des catégories.
La leçon de l’enfant
En premier lieu, celle qui ressort logiquement est la leçon donnée à un enfant par un adulte, comme le montre La Leçon de Piano de Renoir. On y voit une jeune fille assise, s’entraînant au piano à côté d’une adulte. Enfermées dans une composition presque triangulaire, le peintre dirige notre regard afin de mettre en évidence le sujet de la leçon : le regard de la professeure est rivé sur les doigts de son élève, qui est, elle, attentive à sa partition. Par ailleurs, les mains, dans cette composition, sont des clés de lecture car d’un côté, elles signifient l’apprentissage et de l’autre, elles nous montrent qui détient les connaissances. En effet, l’une est placée sur la partition et l’autre, sur le dos de son élève. De cette manière, la professeure semble envelopper et guider la jeune apprentie.

Cette représentation maternelle de la femme professeure est assez commune. On la retrouve par exemple dans La Leçon de Musique de Matisse, dans laquelle on voit une mère apprendre le piano à son fils.

Mais ici encore, la leçon est prétexte à tout autre chose puisque c’est finalement une scène familiale à laquelle on assiste. On n’y retrouve d’ailleurs que peu de symboles de la transmission de l’apprentissage : les mains de la mère sont invisibles, et seule sa présence aux côtés de l’enfant et le titre de l’oeuvre nous orientent dans cette direction. On remarque en tout les cas que les femmes sont souvent représentées différemment des hommes dans leurs rôles d’enseignantes. Dans La Leçon de Couture de Frederick Arthur Bridgman, la femme se retrouve par exemple au même niveau que les enfants, voire légèrement plus bas.

Elle inspire l’apprentissage maternel mais perd en charisme professoral. De même, le cadrage serré du tableau de Renoir évoqué plus haut accentue le côté intimiste de la scène, conférant une certaine tendresse à la composition, d’autant que les couleurs sont chaudes et douces. Ces tableaux jouent donc davantage sur la fibre sentimentale que sur l’aspect intellectuel de l’action.
A l’inverse, beaucoup de professeurs hommes sont largement identifiables comme ayant un rang supérieur à celui de leurs élèves. Il n’est alors plus question de sentiment, mais bien d’un moment important et studieux.
La leçon est aussi une affaire sérieuse
La Leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt est l’exemple type de la leçon officielle et sérieuse, notamment parce que les élèves sont des adultes. Mais s’agit-il vraiment d’une simple leçon?

On y voit un groupe d’apprentis médecins et de bourgeois curieux. A cette époque aux Pays-Bas, les cours de médecine étaient donnés en public dans de grands amphithéâtres, généralement remplis. Rembrandt rompt donc avec la tradition picturale en ne montrant qu’un très petit groupe. Ils sont concentrés sur la gauche du tableau au cadre resserré, tandis que le professeur en occupe l’attention dans la partie droite. Tous sont éclairés avec netteté par la blancheur que dégage le cadavre, objet du cours. Chaque visage semble exprimer quelque chose de différent, alors que tous les élèves devraient être représentés égaux dans l’apprentissage. Mais surtout, aucun ne regarde vraiment l’objet de la leçon, mais tous semblent individuellement concentrés. De son côté, le regard du professeur semble perdu dans le vague, n’étant fixé sur aucun de ses élèves. Nous sommes donc finalement les seuls, spectateurs de l’oeuvre, à observer véritablement le corps disséqué, qui est au coeur de la représentation. En vérité, si Rembrandt a choisi d’attirer notre attention sur ce corps, c’est probablement parce qu’il représentait un aspect religieux essentiel à cette époque : on pensait alors que le corps était un don de dieu. La leçon est donc ici à la fois prétexte à un éloge du partage de connaissance et à une réflexion religieuse.
Mais d’autres peintres ont vu dans ce sujet le moyen de soulever des thématiques bien moins spirituelles !
Des cours très particuliers
Les artistes, ces petits coquins farceurs, aiment jouer sur plusieurs niveaux de lecture : le premier, superficiel laisse entrevoir une partie du tableau, politiquement correcte. Mais le second, souvent moins évident à déceler, nous fait voir des sujets beaucoup plus subversifs. L’un de ceux qui manipulent le mieux ces degrés de lecture est Vermeer.

Dans La Leçon de Musique, on ne voit d’abord qu’une femme jouant rigoureusement à côté de son maître. Leurs postures les montrent concentrés sur la leçon, et ils sont séparés par une chaise qui accentue la distance physique entre eux. Ils sont d’ailleurs également largement séparés du spectateur par une multitude d’objets qui nous coupent de l’action, qui se trouve pourtant au cœur de la thématique abordée. En les éloignant de nous, le peintre accentue notre première impression selon laquelle il s’agit d’une simple leçon de musique. Et pourtant !
Tout d’abord, le pichet blanc posé sur la table est rendu imposant par la perspective, si on compare sa taille à celle des personnages. On a coutume de dire qu’il contient du vin, sous-entendant l’ivresse du maître et de son élève, modifiant considérablement le sérieux de l’exercice. A cela s’ajoute la présence de la main du professeur, dirigée vers la jeune femme et montrant discrètement le lien qui les unit. Et finalement, il suffit de lever les yeux vers le miroir situé juste au dessus de l’épinette, ancêtre du piano. Vermeer y a totalement réinventé la scène, puisque le visage de la musicienne est tourné vers celui de l’homme à sa droite. Le peintre nous fait-il part de ce qui se passe dans l’esprit des personnages, ou bien est-ce une manière de nous rappeler qu’il faut aller plus loin que le premier regard?
S’il est très connu pour ses scènes de genres à double lecture, Vermeer n’est pas le seul à nous proposer des leçons qui cachent d’autres significations. C’est aussi le cas de Fragonard, qui a clairement représenté une scène de cour dans sa Leçon de Musique.

Au premier regard, on ne voit à nouveau qu’une leçon de musique, dispensée à une jeune femme. Si le visage et la posture de cette dernière n’expriment que le sérieux et la concentration, ce n’est pas le cas de son professeur. On remarque tout d’abord sa main droite, posée sur le dossier de la chaise de l’élève comme pour s’en rapprocher. Il se penche vers elle, sans un regard pour l’instrument ou la partition : son intérêt est directement tourné vers la jeune femme. Et pour confirmer cette idée, le peintre a positionné un petit chien sur la droite du tableau : seul personnage à nous regarder, il symbolise la fidélité dans les sentiments.
La leçon pour dénuder la femme
Et finalement, de manière totalement inattendue, le sujet de la leçon est aussi un moyen de montrer des nus (comme les peintres ont pu le faire durant la Renaissance grâce à des sujets mythologiques ou historiques). Dans La leçon avant le sabbat, de Louis Maurice Boutet de Monvel, on voit tout d’abord une vieille femme, cachée sous des mètres de tissus, ne faisant ressortir que son visage.

Il est mis en évidence par un habile contraste entre sa peau mate et son foulard rose poudrée. A l’inverse de cette accumulation de vêtements, la jeune élève est totalement nue, dévoilant une peau d’un blanc virginal. De cette manière, son statut de novice est mis en évidence, tout comme son infériorité face à sa professeur. Sans doute que le peintre préférait également ce corps à celui de la vieille femme. Vous aurez d’ailleurs peut-être remarqué comment l’artiste est parvenu à cacher le sexe de la jeune fille, grâce au drap et au balais. L’innocence de cette dernière est également mise en évidence par le titre, qui nous indique que la professeure serait en fait une sorcière. Un autre élément nous permet de distinguer le rang des protagonistes : le livre. Le premier que nous voyons est ouvert sur les genoux de la vieille femme qui explique sans doute ce qui y est écrit. En effet, elle mime le geste de la lecture, les yeux rivés sur la page, pendant que sa professeure, le doigt levé tel le Saint Jean Baptiste de Raphaël, et la bouche ouverte, clame sa leçon. Le second livre, bien qu’au sol, n’est pas moins important : puisqu’un personnage a un pied posé sur lui, le peintre signifie que c’est celui qui détient le savoir.
Vous l’aurez compris, le sujet de la leçon n’est pas si simpliste que ça. En abordant des thèmes très différents les uns des autres, dans des traitements allant du sérieux absolu à une grivoiserie assumée, il nous donne d’ailleurs un grand enseignement sur l’histoire de l’art. Il est essentiel de savoir regarder chaque détail, pour comprendre tous les aspects d’un tableau, et ne pas se fier à sa simple façade !